Agenda de la pensée contemporaine
(cet article est paru dans le N°16 - printemps 2010 )
articles parus en ligne
Sommaire des
anciens numéros:
N°01
|
N°02
|
N°03
|
N°04
|
N°05
|
N°06
|
N°07
|
N°08
|
N°09
|
N°10
|
N°11
|
N°12
|
N°13
|
N°14
|
N°15
|
N°16
|
N°17
|
N°18
|
N°19
|
N°20
|
|
N°21
|
N°22
|
N°16 - Résumés des articles
par
DE LA JUSTICE AU DROIT – ET RETOUR Philippe Raynaud Dans son essai Homo Juridicus, Alain Supiot mène une vaste réflexion sur la question des fondements du droit. À la différence des partisans du positivisme juridique, il affirme que le droit ne peut être ni réduit à la contrainte légale, ni déclaré moralement neutre. Indissociable de la Justice, dont l’exigence transhistorique préexiste à tous les droits subjectifs et à toutes les règles légales, il a des fondements anthropologiques. Le droit défendu par Supiot est issu du droit romain et du droit canonique : il est « continental » (par opposition au droit « anglo-saxon », la tradition du Common Law se refusant à penser l’objectivité du Droit au-delà des droits subjectifs). Or ce droit « capable de transcender les intérêts particuliers » serait, d’après Supiot, menacé de toutes parts ; son affaiblissement se payerait par l’essor d’autres références : religieuses, ethniques, régionale, tribales, sectaires, etc. De là une mise en garde : la société moderne, bonne en elle-même, est en train de s’autodétruire en minant les institutions qui lui ont permis de naître. LA SOCIÉTÉ LIBÉRALE « DÉVOILÉE » Benoît Heilbrunn Jean-Claude Michéa et Dany-Robert Dufour s’en prennent non sans originalité à l’ordre libéral régnant. Pour le premier, on ne saurait opposer un « bon » libéralisme « de gauche » à un hyper-capitalisme prétendument cynique et dévoyé. Le projet libéral est celui d’une structure minimale que gouvernent le Marché et le Droit. Technicienne et contraignante, cette société du moindre mal prend son parti, au nom de la tolérance, du paradoxe de Mandeville : les vices privés font la vertu publique. – Le second nommé insiste quant à lui sur la domination sans partage de la marchandise, qui fait du corps de l’homme dans l’espace et le temps le lieu libéré de pulsions consommatrices soumises à une production non moins obsessionnelle. Sous le mot d’ordre : « ne pensez pas, dépensez », le règne du Divin Marché a été anticipé par l’œuvre du Divin Marquis, face d’ombre des Lumières. Au nom de la jouissance sans limites et sans loi, l’homo consumans transforme l’individualisme en un narcissisme de pacotille. ŒUVRER / DÉSŒUVRER : EN QUÊTE D’UN NOUVEAU PARADIGME Entretien avec Giorgio Agamben À l’occasion de la publication en France d’Homo sacer II, 2, Le Règne et la Gloire, le philosophe italien Giorgio Agamben revient dans un entretien sur une des notions centrales de son ouvrage : le désœuvrement. Après en avoir donné la définition (il faut accorder au terme un sens positif, comme s’il existait un verbe actif désœuvrer qui serait l’inverse du geste d’œuvrer), après en avoir fait la généalogie (Aristote, saint Augustin, saint Paul, Luther), Agamben, élargissant sa perspective, en souligne la dimension politique. Le désœuvrement ne pourrait-il pas être ce nouveau paradigme de l’action humaine qui permettrait de dépasser le capitalisme ? DE LA RELATIVITÉ DU RELATIVISME Étienne Klein En 1996, le physicien Alan Sokal faisait paraître dans Social Text, revue d’études culturelles américaine, un article dont la cuistrerie post-moderne le disputait au manque de rigueur (lequel était par endroit outré jusqu’à l’erreur) ; puis, quelques semaines plus tard, il dénonçait publiquement la nullité de son propre article. Il entendait ainsi mettre en évidence celle du comité « scientifique » de Social Text, revue qui s’arrogeait par ailleurs une position surplombante vis-à-vis des sciences dites dures, leur déniant tout caractère d’objectivité. Ces sciences ne saisiraient pas la réalité mieux que la métaphysique, la théologie ou la poésie. Dans cette perspective relativiste, elles ne seraient qu’un « récit » parmi d’autres : ni plus, ni moins. La supercherie de Sokal fut suivie d’une longue et violente querelle. Son auteur en a rendu compte dans plusieurs livres, dont Beyond the hoax présente les derniers développements. À la faveur de cette publication, Étienne Klein reprend l’ensemble du dossier en montrant les limites du relativisme actuellement en vogue. LE SPECTATEUR À VENIR François Roussel Jean-Louis Comolli refuse les distinctions pré-formatées et les grilles faussement évidentes. Ce cinéaste qui récuse la séparation arrêtée entre fiction et documentaire comme entre cinéma et télévision, est aussi un penseur qui réfléchit sans concessions sur son art : car les « manières de faire » sont des « formes de pensée ». Attentif aux conditions matérielles, économiques et politiques, mais également aux dispositifs technologiques, il continue dans son dernier ouvrage, Cinéma contre spectacle, recueil dont la composition est justement paradoxale, de s’inspirer des analyses les plus fortes du situationnisme, sans adopter pour autant le pessimisme radical de Guy Debord. L’aliénation spectaculaire laisse-t-elle un espace à des possibilités d’émancipation ? Quelle place les arts du spectacle réservent-ils au spectateur à venir ? ÉLOGE DE LA PROSE Pierre Chartier Cette Histoire de la prose en France (sous-titre) est aussi une thèse. Née vers 1850 avec Flaubert et les Goncourt sous le signe du roman, la « langue littéraire » (tel est le titre) aurait trouvé sa fin à partir de 1970 avec Barthes et Claude Simon. Sublimée par rapport à l’idiome commun, séparée de la langue de haute tenue, de moins en moins distincte de la poésie, cette prose partagée entre conservatoire néo-classique et laboratoire de la modernité, devenue modèle identitaire transcendant pour une culture, aurait accédé pendant plus d’un siècle à une autonomisation quasi sacralisée. La voilà analysée avec minutie, au niveau essentiellement de la phrase, par une équipe de stylisticiens qui a réuni d’innombrables exemples et les a traités selon plusieurs angles, thématiques puis chronologiques. Quelles sont les lignes de force manifestes et quels pourraient être les choix moins explicités qui ont présidé à cette ambitieuse entreprise ? DE LA PSYCHIATRIE À LA SANTÉ MENTALE Jean-Loup Motchane La victoire annoncée des réformateurs de la psychiatrie, médecins et psychanalystes créateurs du secteur, s’est complètement retournée à partir des années 1970. Aujourd’hui les économies publiques, partout à l’honneur, frappent particulièrement cette discipline et ses patients. En outre, intégrée au système de l’hôpital, la psychiatrie est désormais dominée par les pratiques comportementalistes et, au nom des neuro-sciences, par le règne du médicament. Le second volet de l’enquête sur l’histoire de la folie à l’âge moderne interroge le recours au DSM, classification technique venue d’outre-Atlantique qui, associant mécaniquement une molécule ou une thérapie ad hoc à un trouble répertorié par une commission d’« experts », abandonne l’étiologie des pathologies et le suivi singulier des cas. Plus globalement, alors que sont diabolisés les « fous dangereux », on passe à une politique nationale de santé qui fait de chacun d’entre nous, au nom du droit au bonheur, un souffrant en puissance consommateur de soins.
|
---|