Agenda de la pensée contemporaine
(cet article est paru dans le N°16 - printemps 2010 )
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N°16 - Histoire de la folie à l’âge moderne, deuxième partie
par
Partie II –De la psychiatrie à la santé mentale. La gestion du handicap, la répression de la folie. L’individu comme une petite entreprise. Voir les- N° 15 et 21 pour la première et troisième et dernière partie de l’ "Histoire de la folie à l’âge moderne" La première partie de cette enquête nous a conduits du geste symbolique de Pinel libérant les fous le 25 août 1793, jusqu’ aux années 80 où la psychiatrie paraît s’être libérée, en France tout au moins, en partie de l’emprise de la médecine, en s’affirmant comme un champ de pratiques autonomes, susceptibles de répondre à la spécificité de la folie notamment sous l’influence de la psychanalyse. Mais c’est au moment même où les conceptions liées à cette émancipation paraissent sur le point de se réaliser, que le déclin du mouvement issu de la Libération va s’amorcer. La division et la faiblesse du mouvement psychiatrique à l’origine de ces avancées est l’une des causes de ce reflux. Mais le rôle déterminant de ce déclin paraît devoir être attribué aux deux autres facteurs invoqués dans la première partie de ce travail, qui pourraient d’ailleurs être mis en relation : d’une part, le retour en force des thèses organicistes et comportementalistes dans le sillage des progrès de la génétique et de la neurobiologie, d’un côté, et de l’autre, la dérégulation financière, la globalisation des échanges, la financiarisation de l’économie amorcée dès les années 70, entraînant le déclin de l’Etat Providence, l’affaiblissement de la solidarité nationale , la limitation et la réduction des dépenses publiques de santé sans oublier l’individu considéré dès lors comme une petite entreprise. La persistance à l’échelle mondiale, en dépit de la crise actuelle, du « modèle ultralibéral » annonce-t-elle la fin d’une « spécificité française », qui accordait à la psychiatrie son autonomie par rapport à la médecine ? Le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorder ou DSM. Les classifications des maladies mentales font partie de l’histoire de la folie , comme celle des maladies de l’histoire de la médecine. Pinel s’attache avec sa Nosographie philosophique, parue en 1798, à établir une classification, inspirée par des naturalistes tels que Linné et Jussieu et des anatomistes comparatistes comme Cuvier. Dans son traité médico-philosophique sur l’aliénation mentale de 1801, les causes des aliénations, en particulier de la manie sont longuement étudiées et reliées à des « atteintes viscérales » qui seraient provoquées par des passions et des émotions violentes. D’où l’importance de la relation du médecin avec le malade et la possibilité de guérison par le « traitement moral ». Le psychiatre allemand Kraepelin livre en 1883 son Traité de psychiatrie, qui marquera durablement la psychiatrie européenne. Son succès sera tel qu’il ne comptera pas moins de neuf éditions successives, jusqu’en 1909. Sa nosographie sera essentiellement fondée sur la distinction entre les maladies exogènes provoquées par des événements extérieurs aux malades qui peuvent évoluer vers la guérison et les maladies endogènes, c’est-à-dire indépendantes de l’environnement du patient, pour partie héréditaire, chroniques et donc insoignables. C’est le cas des deux grandes entités morbides qui apparaissent dans sa classification : la psychose maniaco-dépressive et de la démence précoce. Bien que Kraepelin ne soit jamais parvenu à mettre en évidence l’existence de lésions cérébrales chez les malades, son étiologie repose sur l’hypothèse d’une « organogénèse » des psychoses. Dix ans plus tard, en 1893, le criminologue Jacques Bertillon publie « la Classification des causes de décès » qui fera l’objet de cinq révision jusqu’en 1938. l’OMS créée en 1945 sera chargée de l’évolution et la mise à jour de la classification de Bertillon. La sixième révision devint en 1948 la « Classification statistique internationale des maladies, traumatismes et causes de décès » (CIM). La version actuelle, la CIM 10 a été achevée en 1996. Les termes de psychose et de névrose continuent d’y figurer, grâce à l’influence modeste de la psychiatrie européenne, bien que son orientation et ses objectifs restent proches de ceux du DSM. Il existe des versions adaptée à chaque pays. En France par exemple, la haute Autorité de Santé (HAS), publie deux guides destinés à expliciter à l’attention des médecins la prise en charge optimale et le parcours de soin d’un malade en ALD au titre des affections psychiatrique de longues durée, l’un consacré aux « Schizophrénies », l’autre aux « Affections psychiatriques de longues durée,Troubles anxieux graves » . Ces guides est basé sur les classifications internationales (CIM 10 et DSM IV), C’est au cours des années 1980, qu’apparaît en France, édité par l’Association Américaine de Psychiatrie des Etats-Unis, la troisième version du « Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux »(en anglais : Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorder ou DSM III) , » En rupture avec la tradition psychiatrique qui ne séparait pas la nosographie de l’étiologie, Le DSM se prétend « athéorique », universel, basé sur une description statistique multiaxiale des symptômes regroupés suivant cinq axes. Son objectif est d’être utilisé par des médecins d’obédience diverse. Le concept de « trouble mental » (mental disorder) », va désormais remplacer celui de « maladie mentale » qui fait référence à l’adoption d’un corpus théorique incluant la recherche et la connaissance des causes. La distinction entre névroses et psychoses qui subsistaient encore dans les deux premières versions est remplacée par un modèle purement biomédical qui vise la reproductibilité parfaite des diagnostiques, dans une optique Néo-Kraepelinienne. Grâce à des questionnaires soigneusement normalisés sur le modèle des « check list » aéronautiques ou des interrogatoires de police, n’importe quel médecin, suivant docilement les prescriptions du DSM, pourrait en principe, repérer sans erreurs et de manière reproductible, le trouble dont souffre le patient ; il lui suffit alors de choisir l’ un des protocoles de soin disponibles sur le marché, quelque soit la personnalité et l’histoire du malade. La psychiatrie devient l’égale des sciences dures La psychiatrie est enfin devenue l’égale des « sciences dures », comme l’observent Stuart Kirk, professeur à à l’université de Columbia et Herb Kutchins, professeur à l’université de Sacramento . Pour ce faire, expliquent ces auteurs, il a fallu qu’elle résolve d’une part le problème de « validité » du diagnostic, c’est à dire la possibilité d’une identification scientifique du trouble et de l‘autre celui de sa « fiabilité », c’est à dire la reproductibilité du diagnostic par des médecins différents. Le DSM donnait la solution au problème posé, en fournissant un système simple et souvent simpliste de définition des troubles mentaux, et en proposant dans chaque cas une thérapeutique basée sur l’utilisation de médicaments spécifiques conjointement avec des cures comportementalistes. L’adoption et la généralisation du DSM en psychiatrie, bien que se prétendant athéorique, établissait en réalité implicitement le règne sans partage de la bio – psychiatrie « c’est à dire l’affirmation que la maladie mentale a des causes physiologiques, génétiques et chimiques, avec son corollaire, la prééminence des médicaments Les relations incestueuses entre le DSM, l‘industrie pharmaceutiques et les compagnies d’assurances aux Etats-Unis. L‘industrie pharmaceutiques, les systèmes de sécurité sociale et les compagnies d’assurances avaient tout à gagner à cette nouvelle définition « scientifique » de la psychiatrie ; en éliminant toute référence psychanalytique et en s’affranchissant de toute les questions concernant la relation entre le malade et son entourage, une nomenclature « fiable et normalisée » des troubles mentaux et de leur traitement pouvait enfin voir le jour. L’homologation par les pouvoirs publics de nouveaux médicaments en devient considérablement simplifiée. Cette simplification entraine également une réduction des coûts des essais thérapeutiques à la charge des laboratoires pharmaceutiques. Les compagnies d’assurances et les organismes payeurs, n’ont plus quant à eux, à procéder à de couteuses expertises. Dorénavant ils ne rembourseront que les frais occasionnés par les seuls troubles mentaux répertoriés dans le dernier DSM. La manière dont les DSM sont conçus mérite que l’on s’y arrête . Leur rédaction est le résultat du rapports de force entre les différents groupes de pression, parmi lesquels, les laboratoires pharmaceutiques jouent, on l’a vu, un rôle déterminant, sans compter les différentes écoles psychiatriques, les associations représentants de la société civile, les association de défense des femmes, des homosexuels, les associations de parents d’élèves etc...On ne s’étonnera donc pas que les méthodes utilisées par les responsables de la publication, n’aient que peu de liens avec une démarche scientifique. Un « syndrome prémenstruel », a été inventé par un laboratoire essayant de commercialiser un antidépresseur inhibiteur de la sérotonine, figurait dans le DSM-IV. Il a dû en être retiré dans l’édition suivante, sous la pression d’organisations féministes. De même, les mouvements gays américains ont réussi à faire supprimer l’homosexualité de la liste des troubles psychiques inscrits dans le DSM. Il a fallu pour cela que l’Association américaine de Psychiatrie ait recours à un référendum. En revanche, les anciens combattants américains de la guerre du Viet Nam ont réussi à faire ajouter au DSM III un nouveau trouble : le « stress post traumatique » . Le nombre de « troubles mentaux catalogués dans les DSM successifs n’a pas cessé de se multiplier. L’édition de 1968 du DSM-II dénombrait 180 catégories de maladies mentales tandis que le DSM-IV publié en 1994 réussissait à porter ce nombre à 350. Ainsi explique Christopher Lane, professeur à l’université Nothwestern de Chicago : « en vingt six ans seulement, le nombre total de troubles mentaux qu’une population ordinaire est susceptible de présenté a presque doublé. Un résultat étonnant » . Pour chacun de ces troubles, le DSM prescrit un médicament approprié ; et l’on serait presque tenté de d’affirmer que la réciproque est vrai : à chaque nouveau médicament, apparaît le trouble correspondant dans le DSM. Les enjeux financiers sont énormes. Le chiffre d’affaire du marché mondial des seuls antidépresseurs est estimé à quinze milliards de dollars. La promotion des produits pharmaceutiques en France représente une dépense de 2 milliards d’euros par an. La formation continue des médecins y serait financée à 90% par l’industrie pharmaceutique . L’utilité des nouveaux médicaments qui ne cesse d’apparaître est douteuse. Edouard Zarifian, par exemple, relève que « pas un des psychotropes récents, quelque soit sa classe thérapeutique, n’a démontré une efficacité supérieure aux produits qui, entre 1952 et 1962, ont été mis sur le marché » . De la psychiatrie à la santé mentale Il en résulte que le nombre de personnes atteintes officiellement de « troubles mentaux » se multiplie. Une étude, utilisant la classification de l’Organisation Mondiale de la Santé(OMS) , menée de 1999 à 2003 dans plusieurs pays, montre l’ampleur du phénomène. Y est comptabilisé les cas des personnes présentant les nouveaux troubles (découverts ou inventés ?) figurant dans les nouvelles nomenclatures internationales inspirées par les DSM. En 2001, les psychiatres Eric Piel et Jean-Luc Roeland indiquent dans un rapport demandé par Bernard Kouchner ministre de la santé, qu’une personne sur trois en France sera l’objet au cours de sa vie d’un trouble psychique, (ce qui paraît énorme, mais ne l’est pas étant donné les nouvelles définition) . . D’après les guides de l’HAS, l’ensemble des troubles anxieux aurait en France dans la population générale, une prévalence sur la vie entière d’environ 21% . Et selon l’OMS « les troubles mentaux représenteraient cinq des principales causes de morbidité dans le monde, dont la part devrait passer de 12% en 1999 à 15% en 2020 . L’augmentation de la consommation des antidépresseurs en France qui s’élèverait à 5,63% par an entre 1990 et 1994 selon Edouard Zarifian constitue un bon indicateur de l’ampleur du phénomène, Et Patrick Coupechoux de remarquer :« La santé mentale n’est plus considérée comme une affaire purement psychiatrique, elle doit faire l‘objet d’une véritable politique, assumée non seulement par les psychiatres et les soignants, mais aussi par les pouvoirs publics, les élus, les associations , les travailleurs sociaux, les médecins généralistes, les enseignants, les entreprises, les familles… » . Le rapport d’Eric Piel et de Jean-Luc Roeland s’intitule d’ailleurs : « De la psychiatrie vers la santé mentale » Ce titre indique clairement qu’il « s’agit donc bien de substituer l‘une à l’autre » . Ce qui ne va pas sans susciter la controverse. Beaucoup de psychiatre craigne la dissolution de la maladie mentale dans l’océan de la « souffrance psychique ». Le sociologue Alain Ehrenberg parle de « retournement hiérarchique ». : « la maladie mentale est désormais un aspect subordonné de la santé mentale et de la souffrance psychique. ..La souffrance était un élément de la psychose, la psychose est aujourd’hui un élément de la souffrance » . Sous l’influence de la psychiatrie américaine et des dérives des différents DSM, les troubles mentaux d’ ailleurs sont de moins en moins hiérarchisés, comme l’illustre un rapport de l’INSERM de février 2003, consacré à la psychiatrie de l‘enfant et cité par Alain Ehrenberg : « un enfant sur huit souffre de trouble mental en France, qu’il s’agisse d’autisme, d’hyperactivité, de troubles obsessionnels compulsifs, de trouble de l‘humeur d’anxiété, d’anorexie, de boulimie ou de schizophrénie » . Le malade mental n’est plus qu’un « souffrant » parmi d’autres. Le glissement de la psychiatrie vers la santé mentale, conclut Coupechoux, « correspondrait donc à une sorte d’élargissement du problème qui est posé à notre société. Il ne s’agit plus pour elle de gérer quelques milliers de malades mentaux, mais des millions de personnes en souffrance, les premiers étant mis désormais sur le même plan que les secondes » . Une politique de santé mentale serait d’autant plus nécessaire que les coûts économiques des troubles psychiques sont élevés. L’OMS les évaluait dans une étude consacrée à l’économie de la santé mentale en Europe en 2005, « d’après une estimation prudente », à 3 à 4% du produit national brut des Etats membres de l’Union européenne . Pourtant les sommes injectées dans une politique de santé mentale ne devraient pas être considéré uniquement comme une dépense. En permettant à chaque individu d’accéder à cet état complet de bien être qui, selon l’OMS, définit la santé, elles constitueraient un investissement productif. C’est ainsi que le Conseil de l’Europe considère par exemple dans une résolution de 1999 « que la santé mentale contribue d’une manière importante à la qualité de la vie, à l’insertion sociale et à la pleine participation à la vie sociale et économique ». Son maintien est donc indispensable pour que les individus puissent faire face avec succès à « la compétition permanente dans laquelle ils sont engagés de gré ou de force » . Le contexte dans lequel se développe aujourd’hui l‘exigence de « santé mentale » est celui d’une société où l’individu est supposé avoir la maîtrise de sa propre vie et être responsable de sa réussite ou de son échec. Il s’agit d’être performant et le psychisme lui-même devient une « ressource humaine ». On est passé, d’après le sociologue Vinent de Gaulejac, « du pouvoir disciplinaire décrit par Michel Foucault au pouvoir managérial qui vise à mobiliser le psychisme des hommes » . Ce nouveau pouvoir de la médecine conduit à la « sanitarisation de la misère » suivant l’expression du psychiatre Jean Furtos. D’un côté, il existe une thérapie disponible pour répondre à toute souffrance psychique, quelque soit sa cause, absence de logement, chômage, abandon, divorce… et de l’autre, toute souffrance, considérée comme « normale » en temps ordinaire, pourra être cataloguée comme signe d’un trouble, si elle dépasse un certain seuil. C’est ainsi que le DSM IV prévoit qu’au delà de trois mois un deuil devient pathologique . Dans son enquête sur La France qui souffre , Philippe Petit note « que depuis le rapport de mission demandé en 2001 par Bernard Kouchner en 2001 aux docteurs Eric Piel et Jean-Luc Roelandt… , jusqu’au plan ‘Psychiatrie et santé mentale 2005-2008, initié par Philippe-Douste Blazy, soutenu par Roselyne Bachelot, il est devenu patent que la politique de santé mentale occupe un espace de plus en plus large dans l’organisation du système de soins qui s’y rapporte. Elle ne concerne plus seulement la souffrance psychique au sens stricte, mais l’ensemble des troubles relationnels qui caractérisent le comportement d’un individu jugé inapte à vivre en société, comme on le dirait d’une jeune recrue à se présenter sous les drapeaux » . Et de s’interroger sur le sens à accorder au terme de « santé mentale ». D’après lui, « l’idéal d’une santé parfaite, conforme aux besoins de la société, se substitue parfois à l’idéal d’assistance et de secours, qui était celui des premiers aliénistes philanthropes, fidèles aux principes de 1789. Comme si l’hygiène sociale, devenue une préoccupation majeure à la fin du XIX ième siècle, s’était transmuée en hygiène mentale, et que, pour échapper à la dangerosité des uns ou à la mélancolie des autres, il fallait à tout prix encadrer les citoyens, et de surcroît les éduquer au bonheur » . Comme Patrick Coupechoux, Philippe Petit voit dans la « psychologisation des rapports sociaux » une instrumentalisation de la psychiatrie au service de l’amélioration de la productivité des « ressources humaines » . La grande tradition française du Contrat social, née au siècle des Lumières et renouvelée à la Libération, se dissout dans une approche psychologisante des rapports sociaux, tandis que la spécificité de la maladie mentale disparaît dans le fourre tout de la souffrance psychique. Le naufrage de la psychiatrie Par la disparition de sa spécificité au profit d’une politique de la santé mentale et l’amoindrissement continue de ses ressources, fruit de ce que Cécile Prieur appelle dans le Journal Le Monde, « une volonté aveugle d’économie » , les réformes de la psychiatrie, amorcées à la Libération, se trouvent ainsi promises à un naufrage annoncé. La paupérisation de la psychiatrie s’est traduite par la fermeture de cinquante mille lits depuis vingt ans, et par une pénurie de personnel médical de plus en plus criante : douze cents postes de psychiatres publics sont vacants sur les quatre mille cinq cents prévus. Et la disparition du Diplôme d’Infirmier de Secteur Psychiatrique (DISP) en 1992 au profit d’un seul diplôme d’infirmier, le diplôme d’infirmier d’Etat. (IDE), toujours par souci d’économie, a tari le recrutement d’une catégorie de personnel jouant un rôle irremplaçable dans l’équipe soignante. Le manque de personnel infirmier correctement formé accroît notablement les difficultés rencontrées actuellement par l’hôpital psychiatrique. Ainsi, par un détournement ironique des choses, la politique de secteur, initiée dans les années soixante par les équipes les plus progressistes des psychiatres psychanalystes, et qui visait à limiter l’hospitalisation dans les asiles et à la remplacer par une prise en charge des fous dans la cité, s’est-elle transformée, dit Cécile Prieur, en « un mouvement de casse de la psychiatrie que dénoncent depuis plusieurs années les professionnels du soin » A peine stabilisés, ajoute-t-elle : « les patients sont poussés vers la sortie : beaucoup d’entre eux, notamment les schizophrènes qui se sont marginalisés de leur famille, échouent dans la rue, faute de places suffisantes dans les structures relais à l’hospitalisation. Ces laissés pour compte trouvent de plus en plus de places en prison, où ils La régression sécuritaire et la victimisation de la société Dans les jours qui ont suivi le terrible crime perpétré en 2004 dans le centre hospitalier de Pau , par un malade schizophrène, le ministre de la santé de l’époque, Philippe Douste Blazy a annoncé le renforcement des mesures de sécurité dans les hôpitaux, politique confirmée en août 2005 par son successeur, Xavier Bertrand. Ce dernier annonce que 17,2 millions d’euros seront mis à la disposition des hôpitaux pour recruter du personnel soignant et du personnels de sécurité (vigiles) à quoi s’ajouteront en 2006 « 44,6 millions d’euros consacrés au recrutement et à la mise en place de systèmes de sécurité pour le personnel…Un groupe de travail interministériel- Intérieur, Justice, Santé- devrait élaborer des propositions sur la prise en charge de ces détenus [présentant des pathologies psychiatriques] et les mesures de sécurité à prendre. Les choses sont claires : la question de la maladie mentales est, on ne peut plus officiellement désignée comme un risque dont la société doit se protéger » . A la suite de cet appel et de l’écho qu’il recueille, le ministre de la santé charge l’INSERM d’organiser un colloque intitulé « Trouble des conduites : de la clinique à la recherche » qui se tiendra le 14 novembre 2006 à Paris. Il amènera l’INSERM à annoncer en décembre une refonte de ses méthodes d’expertises dans le domaine de la santé mentale. Le gouvernement annoncera le retrait de l’article sur le dépistage précoce du projet de loi « prévention de la délinquance » et renonce à l’idée d’un carnet de comportement dès la maternelle ; Contemporain de la publication du rapport de l’INSERM paraît un violent pamphlet contre la psychanalyse « Le Livre noir de la psychanalyse » qui prétend dresser le bilan d’un siècle de « freudisme » et en dénoncer à la fois ses tromperies et son inefficacité thérapeutique. Accusée au mieux de relever d’une croyance sectaire, récusant les avancées de la médecine, de la neurobiologie, et de la génétique, au pire de constituer une imposture, la psychanalyse se voit de plus en plus marginalisée dans les services psychiatriques. Le 25 février 2008 une loi relative à la rétention de sûreté pour les criminels sexuels et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, partiellement censurée par le conseil constitutionnel est promulgué. Elle stipule que « Des mesures de rétention de sûreté s’appliqueront aux auteurs de crimes pédophiles après expertise médicale et sur avis d’une commission chargée de constater que ces criminels "restent particulièrement dangereux et présentent un risque très élevé de récidive à l’issue de leur peine de prison". La rétention de sûreté sera prononcée par une juridiction, pour une durée de un an renouvelable. Seront concernés les pédophiles condamnés à plus de 15 ans de réclusion. Ce dispositif s’appliquera également aux personnes placées sous surveillance judiciaire (notamment sous bracelet électronique mobile) qui ne respectent pas leurs obligations » D’autre part « Afin de mieux répondre aux attentes des victimes, le projet de loi modifie la procédure de jugement des personnes irresponsables pour cause de troubles mentaux. Le texte prévoit que les juges pourront prononcer une "déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental" à l’issue d’une audience rendue publique si les victimes le demandent. Des mesures de sûreté seront mises en œuvre et s’appliqueront dès la fin de l’hospitalisation d’office : il s’agira, par exemple, d’interdire aux criminels de rencontrer leurs victimes ou de se rendre dans certains lieux. La décision de déclaration d’irresponsabilité pénale sera inscrite au casier judiciaire. Enfin, le projet de loi renforce l’efficacité du dispositif d’injonction de soins » . La médecine mentale en France aujourd’hui ? Les réflexions de Robert Castel, sur l’évolution de la médecine mentale en France depuis la Libération restent d’actualité . Après l’aggiornamento de la psychiatrie à la Libération, l’apparition de la psychanalyse et la psychothérapie institutionnelle , l’invention du secteur comme nouveau cadre de l’exercice de la psychiatrie, la diffusion de la pratique psychanalytique et la psychothérapie institutionnelle dans les hôpitaux psychiatriques et dans les équipes soignantes chargées du suivi des malades mentaux au niveau du secteur , est venu le temps, des échecs, des attaques, du reflux puis de la régression. Le secteur, à l’exception d’expériences restées minoritaires, a été tributaire, après sa légalisation en juillet 1985, d’une orientation bureaucratique contenue dans la loi. Celle-ci l’a réduit bien souvent à un simple découpage administratif, doté d’une organisation hiérarchisée, centrée sur l’hôpital psychiatrique, en contradiction totale avec le projet de ses promoteurs. Le déclin de la psychiatrie La disparition des formations de psychiatres et d’infirmiers psychiatriques spécifiques par l’instauration d’un concours d’internat unique pour les premiers, par la disparition du Diplôme d’Infirmier de Secteur Psychiatrique pour les seconds, l’ouverture de nouveaux services psychiatriques dans les hôpitaux généraux affaiblit et banalise l’exercice de la psychiatrie au bénéfice du modèle concurrent centré sur l’hôpital général et la scientificité médicale . Sur les 4 500 postes de psychiatres dans le service public, 1500 sont vacants ! La pratique psychiatrique traditionnelle, est peu à peu remplacée par la transformation des psychiatres en experts sollicités par la les différentes administrations, justice, éducation nationale, ou services sociaux. Le diagnostique est de plus en plus séparée du soin, ce qui accroît le pouvoir des gestionnaires au détriment des équipes soignantes. « Le psychiatre apparaît de plus en plus comme un spécialiste qui marque un destin sans modifier une situation » et comme un conseiller du prince qui participe au contrôle social. Cette mutation du rôle des psychiatres permet des stratégies de gestion prévisionnelle des profils humains , de classements et par conséquent de contrôle des populations basées sur des notions d’inadaptation, de handicaps (qui est souvent une mesure de l’efficacité sociale) ou de dangerosité . Les instruments informatiques rendent maintenant possible la segmentation plus ou moins fine des populations suivant leur degré de « normalité » ou de « risques » ; ils se sont multipliés. Le système de Gestion automatisé de médecine infantile (G.AM.I.N) concerne par exemple, tous les enfants à partir de leur naissance. Il s’agit d’une base de données permettant la signalisation des enfants à risques. Le risque lui-même, est défini à partir du croisement d’un certain nombre de critères médicaux et sociaux, indépendants et arbitraires : « C’est ainsi qu’une malformation, le mauvais état de santé de la mère, des fausses couches antérieures, etc .. représentent des facteurs de risque. Mais aussi que la mère ou l’allocataire soit célibataire, mineur(e), de nationalité étrangère, ouvrièr(e) agricole, femme de ménage, manœuvre, apprenti(e), étudiant(e), militaire du contingent, sans profession etc » . De même, le système d’Automatisation Départementale de l’Action sanitaire et Sociale (A.U.D.A.S.S) fiche les enfants qui relèvent de l’Aide sociale à l’enfance et contient des renseignements sur toutes les sujets ayant bénéficié des services sociaux à un titre ou à un autre . Ces instruments permettent la mise en œuvre de nouvelles politiques préventives visant à allier l’évitement des risques présentés par les classes dangereuses par des mesures sécuritaires à des considérations sociales. La prévention des risques nécessite le suivi et la surveillance des populations présentant un ensemble de spécifications hétérogènes, considérées comme pouvant favoriser un comportement déviant. La trop fameuse enquête de l’INSERM sur la dangerosité des enfants de moins de trois ans participe de ce nouveau paradigme. Ces politiques d’inspiration néolibérales sont naturellement dominées par leur principal objectif : diminuer les dépenses du système de santé publique. La médecine à deux vitesses, mentale ou classique, a de beaux jours devant elle : les cliniques privées et le divan des psychanalystes pour les riches, l’hôpital psychiatrique, l’aide sociale et les associations conventionnées, sans but lucratif pour les pauvres. Le tout centralisé, planifié, normalisé et contrôlé par l’Etat. L’après psychanalyse La psychanalyse avait réussi après la guerre à s’investir par le biais de la psychothérapie institutionnelle dans un certains nombre de services psychiatriques pour en changer et en améliorer considérablement la pratique. Contrairement aux Etats-Unis, elle n’est pas restée un monopole de la formation médicale. Déjà présente à l’université de Nanterre, avant l’ouverture en 1968 du département de psychanalyse de Vincennes ou de l’UFR de sciences humaines cliniques à l’université Paris 7, elle est devenue partie prenante de la formation professionnelle de nombreux cadres moyens ou supérieurs des professions de santé. Cette diffusion a contribué à la constitution d’une culture psychanalyste de masse, que Robert Castel décrit comme : « la transmutation d’une théorie difficile et exigeante en commun dénominateur de tout un milieu culturel » . Cette transformation d’une discipline rigoureuse en une vulgate imprégnant tous les champs de la psychologie, a permis paradoxalement dans le sillage de la psychanalyse et contre elle, l’éclosion de nouvelles thérapies, souvent venue des Etats-Unis, appelée tantôt « mouvement du potentiel humain », tantôt « psychologie humaniste » . Ces autres types de thérapies, plus courtes, plus économiques et moins contraignantes, ces psychanalyses du pauvre, comme les appelle Robert Castel, constituent une concurrence redoutable, d’autant qu’elles n’hésitent pas à s’abriter derrière la théorie psychanalytique, pour mieux masquer la faiblesse de la pensée qui les inspire. A l’autre bout du spectre, la psychanalyse subit les assauts couronnés de succès des thérapies cognitives et comportementalistes (TCC) qui ont été importées dans les années 60 à partir des pays anglo-saxons. Elles y sont validées en France par les plus hautes instances scientifiques, c’est-à-dire par l’I.N.S.E.R.M et donnent lieu à des formations universitaires. D’après cette institution « la génétique des comportements (revue in Paris, 1998) montre que les sources de variation dans la personnalité sont représentées à 50 % par des facteurs héréditaires et à 50 % par des facteurs d’environnement » . Les cures comportent des thérapies individuelles, des thérapies de groupes, de couple, et des thérapies familiales dont la durée peut être codifiée, (ce qui facilite sa gestion comptable et son remboursement éventuel par l’assurance maladie) ; toujours d’après l’exposé de l’I.N.S.E.RM., ces méthodes permettraient de « réduire l’anxiété et encourager les comportements actifs d’affrontement ». Et conclut l’exposé de l’I.N.S.E.RM, « les TCC représentent l’application de la psychologie scientifique à la résolution des problèmes cliniques. Comme pour toute thérapie, elles prennent place dans un contrat de soins et à travers une relation thérapeutique, qui présente la caractéristique d’être une relation de collaboration empirique. Le fait que les TCC aient, dès leurs débuts, mis l’accent sur la validation scientifique des pratiques a permis le développement d’une culture de l’évaluation et la recherche des preuves d’efficacité. Ceci explique le nombre important des recherches contrôlées dans tous les domaines de la psychopathologie qui ont été conduites des années 1960 à nos jours sur l’efficacité et le processus des TCC » . Les attaques contre la psychanalyses , comme disciplines Le 1er septembre 2005 Face à ces attaques, la psychanalyse continue certes sa pratique rigoureuse dans le cadre de la cure traditionnelle dans la relation duelle sur le divan, ou dans les institutions dans lesquelles l’ensemble de l’équipe soignante joue effectivement un rôle thérapeutique. Mais elle peine à satisfaire à l’augmentation de la demande individuelle en ville, ou collective dans les hôpitaux et les secteurs. Les cures sont longues et coûteuses et il n’existe que quelques milliers de psychanalystes, psychiatres ou psychologues, disposant d’un diplôme universitaires et rattachés d’une façon ou une autre à une école dûment estampillée, pour répondre à une demande potentielle, de l’ordre de la dizaine voire de la centaine de milliers d’individus. D’une certaine manière, victime de son succès, le fossé se creuse « entre la représentation que la profession se donne d’elle-même et ce qu’elle est et fait réellement » . Pour mieux dissimuler une pratique de classe accessible seulement à une minorité, la psychanalyse serait-elle réduite à se servir de l’alibi social que constituent les quelques dizaines d’institutions, hôpitaux psychiatriques et secteurs fonctionnant encore suivant les canons de la psychothérapie institutionnelle. Enfin et surtout l’affirmation de plus en plus péremptoire de la part de la communauté scientifique et médicale des origines neurobiologiques et génétiques des maladies mentales , ouvrant la voie à la toute puissance d’une médecine prédictive, reprise sans grand effort critique, par la plupart des médias, jointe à la place de plus en plus hégémonique occupée par les thérapies cognitivo- comportementalistes, drapées dans leur statut « d’application de la psychologie scientifique à la résolution des problèmes cliniques. », achèvent de marginaliser l’entreprise freudienne qui n’a pourtant jamais nié l’existence des rapports entre les sphères psychiques, biologiques et neurologiques. Bien au-delà de l’approche psychiatrique ou de la psychothérapie institutionnelle qui prend en compte tout en les distinguant, l’aliénation mentale et l’aliénation sociale, cette nouvelle culture se donne d’une part pour objectif de rétablir l’harmonie dans les relations humaines et de pallier les disfonctionnement des entreprises et des institutions ; et pour le sujet, d’augmenter son efficacité personnelle, d’augmenter ses performances, et faire fructifier son capital humain, comme pour une petite entreprise. De même qu’en 1968, tout était politique, tout y compris le social, est maintenant devenu psychologique, c’est-à-dire, affaire de relation, de comportement, et de communication. La vocation, des nouvelles « thérapies pour les normaux » est de prendre en charge la « problématique du bonheur (l’épanouissement) aussi bien que celle du malheur (la pathologie) » . C’est ce que Robert Castel définit comme « l’ ordre post disciplinaire » : la santé mentale constitue un marché, où les différentes écoles thérapeutiques, psychanalyse, méthodes de psychologies humanistes et cognitivo- comportementalistes, sont mises en concurrence. Cet ordre post disciplinaire ne passe plus forcément par la seule imposition de contraintes, même si les outils informatiques mis en place, permettent le repérage et le suivi dès leur plus jeune âge, des enfants considérés comme atteints de troubles mentaux, ou simplement déviants ; et même si la montée en puissance du biopouvoir et de la médecine prédictive va permettre aux compagnies d’assurance de classer les individus suivant leur probabilités génétiques de contracter des maladies de longue durée . Mais les méthodes de contrôle direct d’une population sont coûteuses et peuvent provoquer des contestations. Elles sont difficiles à mettre en oeuvre, à l’échelle de millions de personnes : « Un autre modèle de régulation se développe : l’incitation à collaborer, de sa place et selon ses besoins, à la gestion des contraintes dans le cadre d’une division du travail entre les instances de domination et ceux qui y sont assujettis » . Il est nettement plus avisé d’obtenir des individus qu’ils s’imposent à eux-mêmes, par une servitude volontaire, leurs propres objectifs sociaux et économiques, de manière à satisfaire aux exigences de rentabilité et de compétitivité de la société actuelle. Quant au sujet qui s’écarterait de la norme (figurant au dernier DSM), il sera sommé de renforcer, grâce, par exemple à une psychothérapie cognitivo- comportementalistes présumée efficace, ses conduites positives et de se défaire de ses attitudes déviantes. D’autant que avec la nouvelle culture psychologique des années 80, marquée par le glissement de la psychiatrie vers la santé mentale (titre du rapport remis en 2001 au ministre de la santé , par Eric Piel et Jean-Luc Roelandt), il ne s’agit plus de « gérer quelques milliers de malades mentaux mais des millions de personnes en souffrance, les premiers étant désormais sur le même plan que les seconds » . Mais inversement : cette banalisation de la souffrance aboutit à ce que le psychiatre Jean Furtos appelle la « sanitarisation » de la misère par les médecins : « vous êtes angoissé parce que vous êtes sans emploi, votre femme vous a quitté, vous êtes au seuil de la rue, je vais vous donner un traitement et cela ira mieux » Aujourd’hui la maladie mentale apparait dans un premier temps comme un facteur d’inadaptation sociale, de handicap et une source de dépenses qu’il s’agit de « gérer » de manière optimale. Bien que les statistiques prouvent abondamment que la proportion des crimes ou délits imputables aux malades mentaux est très inférieure à la moyenne, le malade mental, le fou retrouve toute sa visibilité dans les médias, lorsqu’il est l’auteur d’un crime jugé d’autant plus atroce qu’il apparaît sans raison ni motif. Et si le malade mental, à défaut d’être soigné, doit et peut être réinséré dans la société, le fou, lui considéré comme un risque pour la sécurité et une menace pour l’ordre social doit être mis hors d’état de nuire. Alors que la politique psychiatrique manque du nécessaire, des dizaines de millions d’euros sont disponibles pour édifier de nouvelles structures fermées et pour sécuriser les services existants Les préoccupations sécuritaires actuelles se définissent aussi et surtout par leur volonté répressive clairement affirmée. Le projet sur le durcissement de la loi du 27 juin 1990 qui régit les « placements d’office et celui de la suppression du non lieu fondée sur l’irresponsabilité pour troubles mentaux aboutissent de fait à une pénalisation de la folie. Illustrée par la fameuse loi du 25 février 2008, qui instaure une peine après la peine pour les criminels présentant « une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive parce qu’elles souffrent d’un trouble grave de la personnalité » . On est entré dans une nouvelle ère paradoxale ou la mise en scène de la folie a changé : la maladie mentale s’est dissoute dans l’océan des souffrances anonymes et la psychiatrie dans les sciences médicales. La figure de l’aliéné n’existe plus. Elle est remplacée par celle de l’inadapté ou l’handicapé mental, qu’il faut au plus vite remettre au travail et réinsérer dans l’appareil productif (oui c’est possible à condition qu’il suive une thérapie et prenne ses médicaments). A sa place apparaît alors le personnage sombre du fou, c’est-à-dire du forcené, d’autant plus dangereux pour la société que son comportement est imprévisible. Souvent coupable de refuser les soins que son état nécessite et par conséquent responsable, potentiellement dangereux ou déjà criminel, il ne doit plus échapper aussi aisément à la justice, en invoquant l’inconscience de ses actes. Selon la nouvelle loi, tant que son discernement altéré peut-être, n’est pas aboli, le fou doit être jugé, ne serait-ce que pour tenir compte des souffrances des victimes. Ce totalitarisme actuel tout à la fois libéral et sécuritaire , qui organise le naufrage, peut-être provisoire de la psychiatrie et de la psychanalyse, est malheureusement l’expression d’une conception dominante de la société toute entière. De même qu’au sortir de la Résistance, à la Libération, un petit groupe de personnes, a réussi à changer en France, de manière positive les rapports entre la société et ses fous, à la faveur peut-être de l’établissement d’un nouveau type de contrat social et politique entre les pouvoirs et les citoyens, de même s’en trouvera-t-il encore, pour résister suivant l’exemple de leurs aînés pendant l’occupation, au rouleau compresseur d’une révolution conservatrice, qui, aveugle aux leçons de la crise mondiale actuelle, pense avoir encore en France de beaux jours devant elle. J-L Motchane 1er décembre 2009
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