Agenda de la pensée contemporaine
(cet article est paru dans le N°14 - Automne 2009 )
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N°14 - Actualité de Roberto DaMatta
par
Roberto DaMatta Alberto Carlos Almeida Un des livres brésiliens les plus importants va fêter ses trente ans. Carnavais, malandros e heróis, de Roberto DaMatta, publié en 1979, est le dernier essai important de la série des exégètes du Brésil tels Gilberto Freyre, Câmara Cascudo, Silvio Romero, Euclides da Cunha, Sérgio Buarque de Holanda et Florestan Fernandes. Chacun à sa manière, ils manifestent la volonté de trouver une clé de compréhension à la spécificité culturelle brésilienne. Roberto DaMatta est en quelque manière l’héritier de Gilberto Freyre, le plus influent des exégètes de la brésilianité. Tout deux partagent le même tropisme pour l’approche intuitive des questions scientifiques, quoique Freye soit allé beaucoup plus loin dans l’indistinction entre littérature et science, entre connaissance érudite et quotidienneté, et dans la formulation d’une position radicalement interdisciplinaire . Si pour Freye la sociologie est la moins autonome de toutes les sciences et si on ne peut la dissocier de l´histoire , DaMatta ne s´éloigne pas de l´anthropologie. Peu au fait d´autres disciplines, il fonde toute sa verve d´essayiste sur les premiers principes du structuralisme. Il a au demeurant hérité de Freye l´une de ses plus belles distinctions binaires : l’espace domestique et l’espace extérieur (a casa e a rua) . Freye et DaMatta communient également dans le choix de leur objet d´étude : le quotidien, les rituels du jour le jour, la musique, la danse, les attitudes, la culture des saveurs, celle de la conversation. Ils se posent tous deux en contradicteurs du pessimisme régnant au sein des sciences sociales de leur époque en ce qui regarde l’interprétation de la question brésilienne. Mais si Freye est d’un optimiste débraillé, follement optimiste, DaMatta professe pour sa part un optimisme contenu, timide, ambigu : s’il s´enthousiame pour certains traits de la culture brésilienne, louant sa spécificité créative à l’ère contemporaine, il est par ailleurs désespéré par l’aporie vers laquelle le précipite sa propre logique ambivalente, binaire. Tout comme Gilberto Freye , usant d’une langue simplifiée et fluide, travaillant les motifs de la culture populaire, DaMatta a réussi à rendre la sociologie accessible à un large public, dépassant le sérail académique. Il est devenu l’un des intellectuels brésiliens les plus influents. Carnavals a pourtant passablement interloqué ses premiers lecteurs. Son point de vue anthropologique a dépoussiéré l’espace académique brésilien, alors imprégné de marxisme et de sociologie politique engagée dans le combat contre la dictature militaire qui s´est étendue de 1964 au milieu des années 1980. A l’acmé de l´ostracisme universitaire imposé à Gilberto Freye , DaMatta a réhabilité les thèmes de recherche qui lui étaient chers. Mais l’on peut à bon droit éprouver une certaine gêne en constatant l´absence d´une problématisation de la question des classes sociales dans son œuvre. Si Freye a incorporé les leçons de l´École des Annales, DaMatta décrit un monde statique, qui s´auto-alimente. Pour Freye, les rythmes des transformations politiques, des mentalités, des habitudes et de la géographie sont distincts. Chez DaMatta, l´histoire n´est rien de plus qu´un ornement. Sa conclusion est que le Brésil offre au regard un système de permanence, intemporel, hiérarchique, qui régit les relations sociales et interpersonnelles. Il reconnaît à ce système son côté libératoire, lié à la modernisation et à l´urbanisme. Il s’agit bien d’un espace de législation impersonnel. Chaque fois qu´un individu est soustrait au réseau de signification hiérarchique émanant des structures duales et qu’il s’inscrit dans un champ communautaire, celui de la famille, des relations d´amitié, il devient pour DaMatta impersonnel, non pas un égal mais un surexploité. C’est pourquoi les individus qui parviennent à conserver leur statut de personne dans le cadre d´une société patrimoniale, en préservant d´une certaine manière leurs relations personnelles de pouvoir, s’en prévalent pour échapper aux normes impersonnelles, stratégie qui serait interdite aux pauvres, aux immigrants des États du Nord-Est ou des capitales du Sud-Est... De la sorte, pour DaMatta l´impersonnalité, qui est aux États-Unis le ciment de la démocratie, joue le rôle inverse au Brésil, répétant et renforçant le schéma d´exploitation. DaMatta partage avec Gilberto Freye, Câmara Cascudo et Mário de Andrade l’idée que l´identité nationale brésilienne est fortement marquée par la culture populaire. Cependant, contrairement à Freye et Cascudo, pour lesquels la culture régionale ne peut que gagner peu à peu le centre, DaMatta prétend décrire une totalité, finissant par étendre sa lecture de Rio de Janeiro à tout l´univers brésilien. Ainsi, on ne trouve dans son œuvre aucune allusion au carnaval de Salvador, de Recife ou d´Olinda... En opposition à Freyre et à Cascudo, DaMatta pose que la modernité ne constitue pas une menace pour la tradition ou l´identité culturelle brésiliennes. DaMatta, en effet, se tient à distance de l´idéalisation de la culture populaire et du passé traditionnel que l´on rencontre chez Cascudo, ainsi que de l´éloge de la société patriarcale que formule Freyre. Néanmoins, l’idée de modernité de DaMatta n´est rien moins que de celle de Sérgio Buarque de Holanda, pour qui l´industrialisation et l´urbanisation contribueraient à l’avènement de la révolution culturelle nécessaire à la destruction de la dynamique hiérarchique d´une société qui ne distingue pas clairement la sphère publique de la sphère privée, de ce qu’on appelle la société « cordiale » . L’on ne trouve pas davantage, chez DaMatta, l´ombre de la mention d´un espace intermédiaire de négociation, de conciliation et, surtout, d´hybridation entre culture populaire et culture extérieure, cet espace que promeuvent Mario et Oswald de Andrade, avec leur célèbre métaphore anthropophage de 1928 , qui anticipa si bien la notion actuelle de dialogue interculturel quasi élevée au rang de certificat de naissance du modernisme brésilien. DaMatta adopte la tonalité désenchantée et méprisante que cultive Euclides da Cunha vis à vis de l´élite intellectuelle et urbaine, celle qui vibre dans le magnifique Os Sertões . Il redimensionne toutefois la question : il n´y a pas en effet chez DaMatta de visée nationaliste et régionaliste. Le libéralisme démocratique nord américain est exalté dans ses écrits. Ainsi, il ne paraît pas, comme Euclides, faire grand cas de l´hypocrisie d´une élite qui se nourrit d´idées importées. Il semble même qu´il aille jusqu’à penser que le modèle étranger doit être absorbé afin que le Brésil développe son propre modèle démocratique et impersonnel. Le problème est qu´il suppose la logique hiérarchique et atemporelle de la société brésilienne éternellement hégémonique et croit qu’elle finira par engloutir le libéralisme et l’« impersonnalité » partout où ils s´installent, de manière précisément à les soumettre, faisant en sorte qu´ils se portent au soutien du vieux schéma de domination. En ce sens, DaMatta reprend à son compte le « labyrinthe patrimonial » de Raymondo Faoro . Pour ces deux auteurs, il n´existe pas d’issue ! La différence entre eux est la suivante : alors que Faoro concentre toute son analyse sur l´État et l´establishment bureaucratique autour duquel il se structure – sans préjudice de l’examen de ce que signifie de fait l´omniprésent et vague concept d´establishment qui berce son œuvre –, le caractérisant comme un être dissocié de la société, DaMatta se tourne vers la société, montrant comment elle s´organise naturellement de manière hiérarchique, l´État n’étant rien de plus qu’une émanation de cette logique duale qui la fonde. Dans ce livre qui est son œuvre principale, DaMatta communique plus avec des auteurs nord-américains – surtout des anthropologues – qu´avec des spécialistes ès sciences sociales brésiliens. À l´exception, justement, de Raymondo Faoro, dont Os Donos do Poder est cité à plusieurs reprises. Certainement, les deux auteurs partagent le même enthousiasme pour la société anglo-saxonne, mais le court-circuit intellectuel propre à DaMatta est étrange. En second lieu, il faut noter que tous les auteurs connus qui ont traité du thème du patrimonialisme et du paternalisme du possédant lui attribuent unanimement une caractéristique centrale : l’indistinction entre sphère publique et sphère privée. Chez Faoro, chez Sérgio Buarque, chez Oliveira Vianna ou chez Vitor Nunes Leal , la modernité est toujours la force capable de discriminer ces sphères, de manière à renforcer l’Impersonnel, l´individualisme, l´universalité de la loi et, enfin, la démocratie. Mais, en incorporant la dualité espace domestique/espace extérieur de Gilberto Freye, DaMatta affirme précisément le contraire : pour lui cette opposition est l´apanage des sociétés traditionnelles et elle est absente de l´univers libéral anglo-saxon ! Dans un article daté de 2001, le sociologue Jessé Souza, en se référant à un autre grand succès de DaMatta, A casa e a rua, publié pour la première fois en 1984, remarque que l´auteur met sur un pied d´égalité l’espace du logis et celui de la rue, ce qui a pour conséquence la répartition entre super-citoyenneté et sous-citoyenneté. Ainsi, le logis est l´espace des droits alors que la rue est le terrain des devoirs, imposés de manière impersonnelle et catégorique. Or, « peut-on concevoir qu´une ouvrière noire et pauvre de la périphérie de São Paulo qui, après avoir travaillé toute la journée et ayant effectivement vécu de pénibles expériences de sous-citoyenneté dans l’espace extérieur, battue par son mari dans son espace domestique, se sente une super-citoyenne ? » , se demande Jessé Souza avec une pointe d´ironie. Nous pourrions aussi nous demander si une adolescente maltraitée par son beau-père ou un jeune homosexuel issu d´une famille conservatrice se sentent davantage citoyens dans la « rue » ou au sein de leur « foyer ». La théorie de DaMatta ne parvient pas à expliquer pourquoi, depuis les années 1980, la part de la population qui opte pour une vie solitaire dans les mégalopoles et n´arrive pas à constituer de famille augmente considérablement, de concert avec une progression évidente de l´individualisme et, même, de l´égoïsme moderne. La description que DaMatta fait du foyer brésilien est une délicieuse pièce de littérature. Mais elle se réfère à un modèle « middle-class » des banlieues de Rio de Janeiro des années 1970, et jamais aux constructions des favelas ou au pavillon bourgeois. Et si la logique de distribution interne des espaces peut être partiellement comparée aux appartements modernes de l´époque, de nos jours les constructions de la classe moyenne ne font pas de différence entre la pièce réservée aux invités et la pièce privative – tout est transformé en living à l’américaine – , de plus, les célèbres dépendances des employées de maison sont de plus en plus réduites quand elles ne sont pas absentes. DaMatta ne pouvait prévoir que les lois municipales, inspirées par la Constitution de 1988, interdiraient la discrimination sociale dans les ascenseurs, de sorte que les appartements contemporains se voient de moins en moins équipés de portes latérales de service, et les immeubles ne différencient quasiment plus l´ascenseur des employés de celui des résidents. Enfin, il est de plus en plus rare que les employés domestiques résident dans des pièces leur étant spécialement dédiées. Tout comme les mansardes haussmanniennes de Paris qui devinrent des logements, les anciennes zones réservées aux employés dans les résidences brésiliennes sont aujourd´hui de plus en plus transformées en chambre d´amis ou en bureaux... C’est l’action de l’histoire, exclue par DaMatta de son analyse, qui métamorphose fortement les habitus sociaux. La pierre de touche de l’identité brésilienne : carnavals et sambas Les déterminismes structuraux mis à part, ce que cette vision ajoute ici d´efficace est l´idée que c´est dans ce rituel collectif que la société peut facilement avoir une vision différente d´elle même. Le rituel étant un processus de symbolisation, elle promeut un déplacement, comme si un objet avait été retiré de son lieu et avait été placé dans un autre plus ou moins comme Marcel Duchamp l´avait fait dans sa Fontaine de 1917. Le problème est que, pour DaMatta, le rite est un vecteur bien plus de permanence que de transformation car il renverse l´ordre, créant une soupape de sécurité, qui, à la limite, renouvelle l´ordre établi, en circonscrivant la subversion dans un espace-temps défini. C´est plus ou moins la logique détaillée par Jacques Le Goff lorsqu´il interprète certaines célébrations religieuses médiévales, fréquemment précédées par des festivals dédiés à modifier la hiérarchie qui sera par la suite réaffirmée et rétablie dans toute son ampleur. Ainsi, la transformation du pauvre en noble pour le carnaval, lorsqu´il devient la grande étoile de la fête, couvert de pierreries et dansant la samba, aurait un caractère de domestication. C´est ainsi que pour DaMatta, le monde brésilien ne se mue pas en un carnaval permanent, en un jouir constant de la créativité et du plaisir de la liberté. Le carnaval est à tous et à personne. C´est une fête du peuple, un événement de masse. L´organisation du carnaval se crée à partir de la désorganisation. Le chaos des masses produit un ordre qui lui est propre. La multitude rencontre des formes spontanées d´autorégulation. C’est quelque chose, il me semble, qui peut faire trembler des conservateurs endurcis comme le philosophe espagnol Ortega y Gasset . Le carnaval brésilien est, dans ce cas, la preuve que Gasset faisait fausse route. La masse n´est pas seulement dotée d´un pouvoir créatif, elle peut aussi créer un ordre à partir du décentrement total. DaMatta a raison de relever que le carnaval s´inscrit dans une chronologie cosmique. Il se situe en effet sur une échelle cyclique, indépendamment de dates fixes. C´est le moment d´exagération qui anticipe la continence du Carême, manifestant des valeurs non seulement brésiliennes mais chrétiennes. C’est une « commémoration cosmique » qui « célèbre l´état de pauvreté et de destitution » , avec « des costumes qui les distinguent et les révèlent ». Le peuple, qui engendre le carnaval dans une créativité hors du commun, le fait à partir d`une légitimité traditionnelle, ce que Ortega et Gasset lui refuse . De nos jours, le carnaval s´est converti en une industrie culturelle de masse et en principale attraction d´une puissante machine touristique. À Rio de Janeiro, les écoles produisent le plus important show-business du monde, attirant des milliers de personnes, générant des profits, des emplois et des millions. On enregistre une augmentation de 40% du flux de touristes pendant la période du carnaval. Cela représente plus de cinquante mille défilants, assistés de soixante mille personnes, alors que 40% des entrées pour l´accès au sambódromo sont distribués à la population, ou mis en vente pour un prix modique . Chaque école confectionne des centaines de costumes et les commercialise à des prix élevés pour les habitants de Rio de Janeiro ne faisant pas partie des communautés pauvres ou pour des touristes, nationaux ou étrangers, qui ne se contentent plus d´assister au carnaval : il souhaitent eux aussi en faire partie et défiler sur l´avenue ! Le carnaval est peut-être le seul cas d’un grand festival national visant à condenser l’essence de l’identité culturelle d’une société qui soit complètement ouvert à tous, nationaux ou étrangers. En fait, ceux qui voient le carnaval de Rio à la télévision nourrissent l’impression que le spectacle est le résultat de mois et des mois de tests, de préparation, un événement uniquement destiné aux personnes qui sont en mesure de développer une grande intimité avec l’environnement, qui dominent les paroles de la chanson, la danse, les tendances, etc. En effet, les tests et la préparation existent et, en outre, sont également ouverts aux touristes. Mais les écoles de samba ont une structure à la fois rigide et fluide. Elles sont divisées en ailes, chacune avec son costume. Le défilé est limité à la zone de l’avenue. Un étranger peut acheter un costume et intégrer une aile. Pour ceux qui parlent le portugais, les paroles de la samba peuvent être apprises à la parade, car elles sont simples. Le manque de samba dans le pied ne sera pas perçu si l’étranger maladroit défile dans le centre d’une aile, en évitant le côté, auxquels les chefs d’ailes prodiguent tous leurs soins. L’étranger ne partage pas l’esprit de compétition entre les écoles, mais il peut profiter du plaisir de défiler, de briller sur l’avenue, de traverser la place de l’apothéose. Il est encore plus facile de s´intégrer au carnaval de Salvador de Bahia. Il suffit de sortir dans la rue car, comme le dit la chanson : « derrière le trio elétrico ne défilent que ceux qui ne sont pas déjà morts ». Pour ceux qui craignent la foule, il existe la possibilité d´acquérir une abadá, sorte de chemise aux couleurs du défilé, qui donne le droit de s´abriter derrière un cordon protégé par des gardes. Et ceci sans parler des loges, dont certaines sont immenses. Ce n’est pas pour rien que l’on insiste sur le fait que la croissance de la fête s´estime au minimum à 5% par an dans les grands centres urbains : elle a le monde entier à accueillir ! Aussi, on comprend que le carnaval n´a rien de perpétuel ni de statique. Il s´est déjà considérablement modifié et continue dans cette voie. Car il est justement le contraire : un espace de dynamisme, d´hybridation symbolique, de tension et de dialogue interculturels. En observant l’historicité du Carnaval, on découvre une institution qui fait se confondre le moderne et l´archaïque. Dans ce sens, le carnaval peut être interprété à partir de la métaphore de l’anthropophagie d’Oswald et Mario de Andrade. À la différence du Jour de la Patrie, rituel destiné au coeur de la société – quand se célèbrent les symboles nationaux comme le drapeau, l´hymne, l´indépendance –, le carnaval, en tant que célébration cosmique, est tourné vers l´extérieur, comme le note DaMatta avec perspicacité : les costumes mettent à jour des combinaisons totalement en dehors de la grammaire quotidienne de la « culture brésilienne », créant un champ hétérogène. Ainsi, il est commun de rencontrer un bandit dansant avec un shérif, un cadavre courtisant une jeune fille, des hommes déguisés en femmes... Les costumes créent un champ social de rencontres, de médiations, de polysémies, où l´union se fait en niant les frontières qui normalement divisent groupes et personnes. Il y a un lieu pour chacun, pour tous les types, tous les personnages. Toutes les valeurs sont dotées de la même importance. On parle ici d´un « festival populaire, marqué par une orientation universelle, cosmique, qui dignifie les catégories les plus englobantes, la vie en opposition à la mort, la joie en opposition à la tristesse ». Et, de plus, un « champ social ouvert, qui se situe en dehors de la hiérarchie ». Puisque durant le carnaval aucun noceur n’est en quête d’un but qui ne puisse être remis à demain ou d’un objectif précis – comme nous le faisons tous les jours au travail, au sein d´un parti ou d´un club –, ce qui est recherché ici est la joie, le plaisir, la musique, la danse, d´où naît une communauté qui embrasse et inclut. Le carnaval, de ce fait, est un rite informel qui permet l´émergence d´un commun étendu, dans le sens donné par le philosophe François Jullien . Le concept de commun est ici éminemment politique. Il désigne ce qui se partage, ce à quoi l’on participe. Ce n´est pas ce qui ressemble, mais ce qui rassemble. Le commun convoque une notion d´appartenance, qui donne forme à la communauté et qui peut être légitimée par sa progression, son extension graduelle, comme délimitant des niveaux successifs de communautés auxquels un individu ou un groupe peut être intégré. Il s’agit donc d´un terme à double sens, en même temps inclusif et exclusif ; en effet, en incluant un profil déterminé, il peut, par la négation, en exclure un autre. Pour Jullien, la tendance historico-philosophique du commun est plus forte dans le sens de l´ouverture que de la fermeture, de l´exclusion. Dans ce sens, le commun évolue depuis un espace d´inclusion et de convergence vers un lieu où les particularités se diluent, où les intérêts privés et spécifiques brandissent leurs contradictions à égalité de condition dans la transparence, rendant possible l´émergence du dialogue et de la politique. C´est l´espace où l´on peut, de même, s´ouvrir à l´autre. La transparence du commun est justement liée au délitement des hiérarchies occultes et structurelles. Le carnaval brésilien a trouvé une formule particulière d´inclusion. En tant que champ d´inversion des hiérarchies ouvert à tous les goûts, toutes les valeurs, toutes les formes, comme territoire sans pouvoir centralisé et à la structure hautement fluide, il s´ouvre à tous les sujets, établissant comme objectif central l´essence humaine qui est condition du rire, du jeu, de la joie, de la danse, de la musique et du plaisir. Le carnaval, fusion de christianisme et de paganisme, hybride des cultures ibérique, européenne et africaine, domestiqué par l´État interventionniste de Getúlio Vargas des années 1930 et 1940 , a fini par avaler l´identité brésilienne, confondant son essence avec cette dernière, pour devenir une industrie culturelle, un produit d´exportation et un terrain d´expérimentation multiculturelle. Un autre aspect important de l´analyse de DaMatta caractérise l´école de samba comme une organisation collective, mais qui permet et stimule la distinction. Le terme « distinction » désigne la personne qui se projette au moment du défilé, devenant temporairement une célébrité. Pour DaMatta, tout ce qui est rigoureusement collectif au sein d´une école de samba, comme l´ensemble des percussions, uniforme, perd en éclat et en possibilité d’évolution. Pour lui, si au quotidien l´école supprime des individualités, s´ordonnant autour du pouvoir « patronal » de son président, pendant le défilé, au contraire, elle permet le déchaînement des individualités. Ce constat récuse l’idée que le carnaval est un exhibitionnisme croissant. En effet, en congruence à la contemporanéité narcissique c´est précisément cela que l´école de samba se propose : projeter l´individu, valoriser l´exhibitionnisme. Lorsque DaMatta écrivit son livre, les personnages mis en avant étaient en majorité des femmes et des homosexuels. De nos jours les tabous concernant la nudité masculine se sont dissipés et beaucoup d´hommes hétérosexuels participent au défilé en se valorisant comme figures. C’est la fête de masse dans toute sa splendeur, l´invasion complète des rues de la ville dans un immense périmètre par lequel transitent les chars électriques, défilent les blocs, les tribus et les afoxés (aspect carnavalesque du candomblé). Le carnaval s´est réinventé entièrement ces trente dernières années, créant de nouveaux rythmes, comme le axé, et autour de celui-ci toute une industrie culturelle propre, de forte imprégnation régionale mais qui s´internationalise progressivement . Au cours de la période où DaMatta écrivit son livre, São Paulo était encore considérée comme le caveau de la samba. Du fait de la forte présence de l´immigration européenne inscrite dans la dynamique capitaliste globale, ses habitants voyaient le jour férié du carnaval comme une chance pour quitter la métropole. Cette réalité s´est transformée. Le carnaval de São Paulo s´est organisé à partir du modèle de Rio de Janeiro et offre aujourd´hui un spectacle de la même ampleur, sans la même tradition, toutefois. Le carnaval de São Paulo a bénéficié de sa position de pôle économique le plus important du pays. Il est lui aussi retransmis sur les chaînes de télévision. À São Paulo, cependant, le carnaval s´est soumis au sambódromo. Le rôle des blocs de rue est, par conséquent, infime. La hiérarchie religieuse, chrétienne, qui formait le carnaval est aujourd´hui diluée. Quand DaMatta écrivit son ouvrage, le carnaval se terminait le Jeudi des Cendres, dans « le silence pesant d´une messe » , célébration dont on entend peu parler de nos jours. Le Brésil est toujours un pays où la foi catholique est prédominante mais où le monopole des relations avec le spirituel a été perdu depuis longtemps par l´Église. De nos jours, Pâques est célébré seulement un week-end. Au XIXe siècle, il y avait des années de Carême, durant lesquelles les fêtes étaient bannies. Aujourd’hui, si la période de Carême va en se réduisant, celle du carnaval, au contraire, s´élargit. À Salvador, il commence le jeudi soir, avec le défilé des blocs des « Masqués ». Ceci sans parler des « Lavages », comme celle du Rio Vermelho, le 2 février, ou celle de Bom Fim, qui anticipe la folie. Les « Micaretas », fêtées en juin, déplacent le carnaval et permettent une continuité extra-temporelle de la fête. L´extension du temps de carnaval peut être lue comme un symptôme de carnavalisation, dans le sens qu´il amplifie la créativité et les espaces de liberté de la société brésilienne d´après l´ouverture politique. DaMatta rédigea son ouvrage en pleine dictature militaire, lorsque les possibilités d´exercice de la citoyenneté étaient limitées. L´État imposait la censure, accumulait les mandats, dirigeait les partis, manipulait la législation électorale, persécutait, torturait. Dans une telle ambiance, la difficulté de trouver les institutions que DaMatta appelle « totales » ne nous semble pas étrange. Ce sont ces regroupements qui définissent clairement leurs frontières internes et externes en se concentrant sur des objets précis. La présence de ces groupes d´intérêt est fondamentale pour animer une démocratie. Le Brésil après 1988 : interprétations Or on a assisté, dans le le Brésil post-1988, au renforcement d´association de classes de niveaux divers, à l´émergence de mouvements sociaux et à une explosion des identités du secteur tertiaire. Avec la constitution d´octobre 1988, pour la première fois, une entière participation populaire a été atteinte au sein du processus politique national, du moins dans le respect du droit de vote – il n’est que de rappeler que durant les élections de 1962, seulement 24% de la population majeure avait voté. À la suite du boum de la croissance économique et de l´urbanisation accélérée des années 1970, après l´ouverture politique et la redémocratisation des années 1980, et après l’ouverture de l´économie et l´élargissement du dialogue avec le monde dans les années 1990, le Brésil a vu naître ce que Robert Dahl appelle la société « polyarchique » . Cette dernière se constitue de multiples sources de pouvoirs dotées d´une relative autonomie. En effet, le Brésil d’aujourd´hui possède des pouvoirs autonomes, une presse libre, un Ordre des avocats, un Parquet actif et une société civile raisonnablement organisée. Il existe une diversité de goûts, de coutumes et de croyances. Il existe un espace pour la diversité des opinions et on ne voit pas surgir de discours simplificateurs. Ayant aussi son importance, le substrat légal infra-constitutionnel est une extraordinaire avancée pour la reconnaissance et la protection de ce que l´on appelle les droits indisponibles et diffus, il est responsable de l´établissement d´un nouveau paradigme juridique. Dans le sillage de la célèbre Loi d´Action Civile Publique de 1985 – je veux dire de la loi nº 8.069, du 13 juillet 1990, qui institua le Statut d´Enfant et d´Adolescent –, la même année, la Loi nº 8.078 du 11 septembre approuva le Code du Consommateur ; pour sa part, la Loi nº 8.429/92, connue comme la Loi d´Improbité, ou Loi Anticorruption, fut le corolaire d´un débat initié au congrès en janvier 1988, avec la mise en place de la Commission Parlementaire d´Enquête sur la Corruption ; en 1992 fut aussi promulgué le Code de l´Environnement, la Loi nº 4.100. Une grande partie de cette législation fut mise en place à partir de la mobilisation d´associations de la classe juridique. Le Brésil des années 1990 connut une gigantesque explosion de litiges, ce qui confirme l’importance des demandes retenues et la confiance raisonnable du peuple dans sa Justice . Il existe encore certainement beaucoup d´éléments à perfectionner dans le système juridique brésilien, mais ce système est infiniment supérieur à ceux d´autres pays émergents, comme par exemple l´Argentine, la Chine, l´Inde, la Russie et le Mexique. Si la corruption n´a pas encore été éradiquée du Brésil, il existe néanmoins des réseaux qui la combattent et rien n´échappe à la presse . Situation bien différente de celle qui existe en Russie, en Angola ou en Argentine. La corruption existe dans le monde entier, même dans les pays les plus développés. Le prouvent les récents scandales qui secouent les marchés et les gouvernements de tous les côtés. La différence est précisément au sein des institutions de contrôle, qui dans ces pays jouissent d´une plus grande efficacité. Encore une fois, c’est Jessé Souza qui nous le rappelle : « C’est l´image (dans ce cas dévalorisée) du Brésilien à propos de lui-même que dramatise la théorie damattienne. Finalement, pourquoi supposer une tendance innée des Brésiliens à la corruption et à l´établissement des relations de faveur ? Ces ‘prédispositions’ seraient-elles plus importantes ici que dans n´importe quel autre pays ? ». Et plus loin : « Ce serait, effectivement, une idiosyncrasie brésilienne que la vision de la politique tel un jeu déshonnête entre les personnes qui échangent faveurs et protections ? Je ne crois pas. La fameuse enquête empirique réalisée par Bellah et son équipe aux États-Unis montre que là-bas aussi, la politique telle qu´elle est perçue, spécialement la grande politique de l´État et de la négociation des partis, est ‘sale’ pour la grande majorité des Américains. » DaMatta met en exergue des situations qui représentent la corruption au jour le jour, à laquelle il associe le « vous savez à qui vous êtes en train de parler ? » : la femme du député qui stationne sur une place réservée, le conseiller des Cours suprêmes de justice qui récuse le policier pour lui avoir donné une amende alors qu´il ne s’était pas arrêté au feu rouge, etc. Mais si ces pratiques persistent encore, et sont la base de la corruption délétère qui infecte encore les relations politico-institutionnelles au Brésil, on constate qu’elles sont de plus en plus restreintes. De fait, depuis les années 1980, en particulier au sud et sud-est du pays, les manifestations d´abus de pouvoir ou d´ostentation des privilèges prébendées par le Trésor public suscitent de vives émotions auprès de l´opinion publique. Dans l´État du Rio Grande do Sul, par exemple, au cours des années 1980, un mouvement qui a déchaîné la presse locale, libérée des entraves de la censure, a obligé les juges du Tribunal de Justice à renoncer aux voitures officielles avec chauffeurs, lesquelles étaient souvent utilisées par leurs épouses afin d´aller chez le coiffeur ou de faire les courses. D´un autre côté l´infraction, qui jusque dans les années 1970 pouvait s’incarner dans la figure romantique et inoffensive du petit malin carioca, acquit des contours brutaux. L´insécurité publique au Brésil est le résultat de la combinaison de divers facteurs comme l´inefficacité d´une police mal entraînée, mal rémunérée et mal équipée, corrompue et loin d´être assainie ; une législation de procédures pénales permissive en ce qui concerne l´excès de recours ; la faible présence de l´État dans les zones périphériques, aggravée de carences en terme d´urbanisation et d´actions sociales efficaces ; un système d´éducation déficient ; le nombre insuffisant de postes de travail de qualité pour accueillir la masse de nouveaux travailleurs qui se présentent sur le marché ; des frontières parfois non-surveillées qui permettent l´entrée de drogues et d´armes de contrebande. Pour DaMatta, les Brésiliens étaient plus sensibles à l´usage de la violence contre le système lorsqu´ils se trouvaient dans la condition d´individus laissés pour compte par leur communauté d’origine, dans la condition, par exemple, de passager du système de transport public ou de piéton dans la rue. Il ne lui était pas venu à l´esprit que la contestation contre le système était étouffée par la dictature militaire de l´époque. Il pouvait encore moins imaginer que la violence au Brésil prendrait cette tournure, hésitant entre crime organisé et gratuité diffuse. Enfin DaMatta, qui considère le Brésil comme une société semi-traditionnelle – encore qu´il n´explique pas comment nous sommes passés de l´état traditionnel pur à cet état intermédiaire –, pense qu´il est pour cela même « profondément attaché au passé ». Et c´est justement parce que les Brésiliens sont assujettis au passé qu´ils ont eu la sensation que le Brésil est le pays du futur et de l´espérance . Le pays du futur devait grandir, réinventer chaque jour son identité, au présent, et du passé faire table rase. Dans nos grandes villes, à l´exception de Brasilia, les blessures ouvertes de cette modernité développementiste, technocrate et autoritaire sont encore visibles. Ce n´est pas un hasard si avec la fin du régime militaire le thème de la préservation du patrimoine historique gagne en importance. Dans le cadre de cette nouvelle perspective s´inscrit le SESC Pompéia à São Paulo, pavillon industriel recyclé à la fin des années 1970 par l´architecte Lina Bo Bardi, une des esthètes les plus délicates s’agissant de la question de l´identité anthropologique brésilienne . Il est évident que des constantes persistent mais la société est aussi en transformation. Comme le propose avec justesse Gilberto Freyre dans Sobrados e mocambos, les relations sociales traditionnelles, dont la base était l´esclavagisme patriarcal, commencèrent à se dissoudre avec l´arrivée de la Cour portugaise au Brésil en 1808. Ce n´est pas seulement l´État portugais que l´on transplanta sur la vieille colonie, c´est aussi la souveraineté du Roi et les habitudes de la métropole. L´économie de marché s´étendit avec l´ouverture des ports. Comme l’a souligné Jessé Souza , paraphrasant Freyre, l´Europe nous est arrivée par bateaux au moment d´une intense « ré-européanisation ». Subitement, le Brésil s´éveilla de son sommeil colonial. Avec le Roi arrivèrent vingt mille fonctionnaires et deux tiers du flux monétaire portugais. La cour toute entière fut transportée. Ce choc affecta les personnalités locales. Le pouvoir patriarcal continua d´influencer tout le XIXe siècle, envahissant aussi le XXe, mais il est indéniable qu´il subit un coup violent. Freyre, pourtant, voit en cela une rupture, suggérant qu´au sein du Brésil colonial s’est formée une société singulière, visant à la perpétuation de l´esclavage – sous une forme plus spécifique, telle que les mécanismes de cooptation sont associés à une totale dépendance de l´esclave vis-à-vis du seigneur. En l’absence d´institutions de médiation le pouvoir du propriétaire de sucre était pratiquement autonome, formule trouvée par le petit Portugal pour faire face au devoir de colonisation de l´immense Brésil. Cette interprétation est par conséquent différente de celle de Faoro, qui réaffirme la pérennité du projet bragantine. Un argument similaire est présent dans le magistral Coronelismo, enxada e voto de Vitor Nunes Leal , qui dessine la thèse du système colonialiste de pouvoir. Selon cet auteur, l´institutionnalisation de la République au Brésil, à partir de 1889, provoqua l´affaiblissement de l´autonomie municipale au bénéfice du renforcement des pouvoirs des États fédérés. Pourtant, l´appareil d´État continua à être bureaucratiquement et « infra structurellement » fragile. De cette nouvelle corrélation de forces et de compétences émana le « système de réciprocité » qui caractérise la politique « coroneliste » . L´expression du système présuppose la vie en commun d´appareils et de stratégies extralégales avec l´univers formel de l´État de Droit. La force du pouvoir privé local et la non distinction entre les espaces public et privé, dont l´origine repose sur l´ordre patriarcal et l´esclavage colonial, sont donc en déclin progressif au Brésil. Impossible, de fait, de parler de pure permanence. La société brésilienne, sur laquelle pèsent toutes les permanences, a traversé d´intenses et rapides transformations, processus qui s´est accéléré, surtout dans la seconde moitié du XXe siècle. Le pays connut, tout au long de son histoire, diverses ruptures institutionnelles. Huit constitutions entre 1824 et 1988, en comptant celle de 1937, octroyée et qui n´entra jamais en vigueur, et l´Amendement nº 1, de 1969, qui en pratique fut une Constitution à part. Cette volatilité exigea des Brésiliens une capacité d´improvisation et d´adaptation. La stabilité macro-économique et la relative stabilité juridique sont des phénomènes récents et non pleinement consolidés. La Constitution Fédérale de 1988, depuis sa promulgation, a déjà vu le vote de cinquante-six amendements. Au sein de son contenu infraconstitutionnel et pour parler seulement de son chapitre fiscal, entre 1989 et 2005, le pays a produit plus de deux-cent-vingt-cinq mille normes aux trois niveaux du gouvernement. Il est donc impossible de considérer qu’un tel schéma est attaché au passé. C´est justement le contraire : le Brésil est en continuelle mutation. Et sur les éléments qui représentent quelques uns des traits de la permanence, il est nécessaire de percevoir différentes gradations d´intensité. Les thèses de Sergio Buarque de Holanda, de Vitor Nunes Leal, et même de Gilberto Freyre, paraissent irréfutables : État et Marché ont progressivement limité l´autonomie du pouvoir patriarcal et singulier ; en second lieu, les processus d´urbanisation et d´industrialisation ont, en effet, suscité une lente, mais constante, transformation culturelle qui sape les bases du modèle patriarcal et contribue à mieux délimiter les espaces publics et privés. Récemment, une proposition créative revisita les théories de DaMatta. L´ouvrage intitulé A cabeça do brasileiro , publié en 2007, est le résultat d´une enquête d´opinion, entreprise par le sociologue Alberto Carlos Almeida en collaboration avec Clifford Young, avec l´Université Fédérale Fluninense et grâce au financement de la Fondation Ford. Ayant pour ambition de fonctionner comme un test quantitatif de l´anthropologie de DaMatta, il suit les pas du mentor, dialoguant peu avec l´historiographie et la sociologie brésiliennes. Peut-être en raison de ses fondements, ce travail, qui provoqua de vifs débats idéologiques et qui connut une grande répercussion dans le presse, fut pratiquement ignoré par le milieu académique. Almeida s´est appuyé sur la question de base posée par DaMatta, selon laquelle les Brésiliens ont peu à voir avec l´égalité, perçue ici selon le modèle anglo-saxon. Tout comme DaMatta, Almeida a pris les États-Unis et son libéralisme comme types idéaux, mais en a exacerbé la déconsidération en caractérisant la société brésilienne comme lieu d’une synthèse hybridante tendant à la tolérance, aspects qui fonctionnent comme des pendants positifs du « jeitinho brasileiro » (manière d´être brésilienne, système D), comportement caractéristique d´une société hiérarchisée et assise sur le patrimoine. Son travail privilégie plus encore que chez DaMatta l´idée de conflit, à l´inverse de l´interculturalité. Il reprend la formule euclidienne de deux Brésil, celui de l´élite et le populaire, mais inverse les facteurs : il considère l´élite comme plus moderne, impersonnelle et démocratique car scolarisée, alors que le peuple est fatalement plus conservateur. Prenant le contrepied de DaMatta, Almeida admet que le pays est en transformation, qu´il évolue vers une mentalité plus moderne, en faveur à la démocratie. Pour lui, le levier de ce développement est l´expansion de l´éducation. Almeida montre, avec sa palette de réponses et ses questionnaires, qu´il existe une relative conscience au Brésil de ce que la transgression des règles et des lois est malhonnête. Il réussit à mesurer la frontière entre le jeitinho et la corruption. Pour ses interviewés, utiliser un poste au gouvernement pour s´enrichir, « acheter » un garde, être fonctionnaire fantôme ou pratiquer un détournement d´énergie électrique relève de la corruption. Donner des pourboires à un serveur pour être mieux servi dans un restaurant, utiliser son poste pour aider un ami à dépasser une file, se prévaloir de relations personnelles pour profiter de petits bénéfices comme par exemple accélérer le retrait d´un document dans une institution publique, est ce qu´ils appellent le jeitinho brésilien. Les situations de jeitinho, de fait, et l´auteur ne le perçoit pas, se rencontrent fréquemment dans de nombreux pays européens. Il n´y a pas de raison de mettre en avant cette spécificité brésilienne en particulier. D´autre part, au sein d´une relation personnelle, que l´auteur considère comme un héritage patrimonial et traditionnel, il est de plus en plus exercé dans les sociétés modernes de masse en tant que stratégie de fuite de l´uniforme, ce que les clubs exclusifs et autres services personnalisés démontrent bien. En évitant de s’en remettre à Sérgio Buarque de Holanda, l´auteur prouve avec efficacité que ceux qui vivent dans les capitales ont tendance à être moins tolérants en ce qui concerne la non-distinction entre espaces public et privé. Cette tendance prévaut aussi pour les citoyens plus jeunes, pour qui l´intégration dans la dynamique d´économie de marché est plus grande, jugeant que la révolution culturelle capable de combattre le syndrôme de « cordialite » s´inscrit dans le processus d´industrialisation et d´urbanisation. L´auteur réussit à cartographier avec succès les étapes d´inflexibilité générationnelle au début des années 1960, précisément lorsque le Brésil commence à entrer dans l´ère de l´urbanisation. Ces données nous montrent que globalement celui qui use le plus du jeitinho est celui qui a le plus étudié. La population la moins scolarisée pense que l´élite gère mieux les aspects extralégaux. La population qui possède un niveau supérieur complet a tendance à être plus tolérante en relation à la pratique du jeitinho. L´enquête n´explique pas si cela a lieu parce que ces personnes se savent faire partie de l´élite et profitent de l´usufruit de leurs privilèges ou parce qu´ils comprennent les injustices du pays et pensent que le jeitinho est une stratégie de survie des plus pauvres qui peut être tolérée. Ce fait, néanmoins, sert à relativiser la conclusion centrale de l’auteur, car elle indique que la scolarisation, en dépit de son importance, n´est pas une garantie suffisante de la consolidation de l´Impersonnel. Quoi qu’il en soit, comme le souligne l´auteur, faisant litière de la règle universelle, le jeitinho crée une soupape de sécurité qui permet d’échapper aux relations de hiérarchie et, en pratique, évite l´implosion du système global hiérarchisé. C´est une stratégie de survie et d´accommodation, qui en même temps renforce l´autorité. L´auteur s’efforce de dégager le fondement hiérarchique de la société brésilienne. Cependant, beaucoup de ses conclusions sont discutables. Affirmer que les citoyens les plus âgés et que les habitants des zones les moins urbanisées sont les plus conservateurs en matière de moeurs, tolérant moins l´indépendance féminine ou l´homosexualité, est un lieu commun qui pourrait s´appliquer à tous les pays. L´auteur conclut de manière générale à la tolérance des Brésiliens envers les homosexuels masculins : entre 75% et 90% des interviewés, en relation à leur niveau d´instruction, depuis le niveau supérieur complet jusqu’à celui d’analphabète, répondent négativement à cette question. Étrangement, quand on leur demande leur opinion sur les pratiques sexuelles libres, le pourcentage tombe respectivement de 15% et 61%. L´enquête n´arrive pas à mesurer la différence entre homo-érotisme et homo-affection. Il existe de nombreux signes évidents qui montrent qu´au Brésil l´homoérotisme peut être présent dans une proportion relative entre ceux mêmes qui se déclarent hétérosexuels. L´indice de tolérance des pratiques sexuelles consenties est très élevé pour un pays où 97% des habitants déclarent croire en Dieu, comme l´indique une étude récente de l´institut DataFolha . Sur le chapitre de la foi, l´auteur n´ouvre pas d´espace de différenciation entre le fatalisme religieux et la spiritualité : quand 47% de ses interrogés qui ont complété leur scolarité affirment : « Dieu décide du destin, mais les personnes peuvent grandement le modifier », contre 27% qui répondent que le destin n´existe pas et 9% qui croient que Dieu décide de tout, ce qui paraît être indiqué ici est une société hautement spirituelle mais très peu exclusive, ou simplificatrice en ce qui concerne la foi. Ce qui a comme effet que le côté spirituel de la société brésilienne n´a pas développé de formes d´intolérance. La cohabitation entre les croyances, à l´exception d´épisodes isolés, a coutume d´être relativement pacifique. Et pourtant le Parlement et les Pouvoir Publics affrontent quelques difficultés à aborder le thème de l´avortement et celui du mariage homosexuel, en relation aux pressions des groupes religieux. L´État brésilien est laïc. La jurisprudence, notamment dans les États du Sud, reconnaît déjà les droits des conjoints d´unions homosexuelles concernant l´héritage et la pension, aussi bien qu´il reconnaît le droit aux homosexuels d´adopter des enfants orphelins, ce qui reste un tabou absolu en Europe. La question importante à relever ici est de savoir comment un pays où 97% de la population déclare croire en Dieu parvient à produire de la science, à maintenir des universités de niveau international et à se moderniser aussi rapidement, comme elle l´a fait tout au long du XXème siècle. La réponse passe par la possibilité pour un sujet d’étudier : la culture brésilienne ne fait pas qu´exister, comme le croit Roberto DaMatta, elle trouve une formule de cohabitation entre la raison et la foi. Les thèses des essayistes néo-athéistes, comme Christopher Hitchens et Luc Ferry , pour lesquelles la religion n´est que venin et ne contribue en rien à la liberté de l´Homme, ne s´imaginent pas au Brésil, où ce qui importe est la rencontre quotidienne entre l´univers sensoriel et le domaine de la raison. Almeida constate que selon les Brésiliens le monde dans lequel ils vivent contient des zones nébuleuses dans lesquelles le vrai est le faux ne sont pas clairement spécifiés, mais dépendent du contexte et des circonstances. Pour lui, qui rêvait du modèle dichotomique de la réalité comme celui que le monde anglo-saxon avait idéalisé, réside ici la preuve du sous-développement du Brésil. Je pense le contraire. La croyance inébranlable dans la règle universelle peut se révéler autoritaire et intolérante. Il serait peut-être préférable que le vrai et le faux puissent être pensés selon leur dimension universelle et rationnelle, mais aussi à travers une dimension de définition circonstancielle. Comme le propose François Jullien, nous avons besoin de nous engager dans la construction d´une nouvelle universalité, fondée sur la différence. Et cela passe, il me semble, par la capacité relativiste de lire le contexte. L´espace nébuleux pour lequel Almeida éprouve de l´horreur est aussi le territoire de l´adaptation, de la flexibilité, de la tolérance et de la créativité. L´excès de réglementation au quotidien peut ne pas être si positif. En 2006, le Conservateur en chef du Département des Arts Graphiques du Musée du Louvre, Régis Michel, affirma au Brésil que la réglementation que l´État introduisait dans la culture provoquait une véritable crise de créativité en France . Le paradis égalitaire-impersonnel damattiano-almeidien, à savoir les États-Unis, suscite une étrange confluence entre le conservatisme créationniste et le politiquement correct et régule les habitus comme dans aucun autre pays occidental. Aujourd´hui, les relations interpersonnelles y sont de plus en plus régulées par la justice, comme si l´objectif final était de transformer l´être humain en machine. Ce n´est pas ici le lieu de traiter d´un sujet aussi complexe, mais j´aurais tendance à me sentir proche de l´historienne Camille Paglia quand elle revendique un peu de chaos pour que la créativité puisse s’affirmer . L´auteur conclut aussi en évoquant le pourcentage croissant de Brésiliens qui réclament une intervention de l´État-providence dans l´économie. Une fois encore, le taux diminue au fur et à mesure que le taux de scolarisation s´élève. Cependant l´enquête ne mesure pas la confiance dans l´initiative entrepreneuriale. Dans le rapport du Global Entrepreneurship Monitor de 2005, le Brésil figure parmi les pays où se sont créées le plus d´entreprises en 2005 . De plus, l´enquête d´Almeida ne considère pas que dans les zones moins urbanisées l´État est perçu comme un rempart bénéfique contre l’arbitraire du pouvoir privé local et comme un recours contre la pauvreté. Pourtant, l´auteur exagère en inférant un tel esprit patrimonial à des Brésiliens rêvant d´un État paternaliste. Almeida constate que presque les trois quarts de ses interviewés affirment ne pas considérer que ce qui est l´espace public mérite d´être protégé par tous. Le déficit de citoyenneté au Brésil comme héritage de l´indistinction historique entre espaces public et privé tend à renforcer cette prise de distance face au communautaire. Mais lui-même reconnaît le caractère paradoxal d´une population qui est favorable à une intervention de l´État dans l´économie mais considère que l´efficacité du secteur public est inférieure à celle des initiatives privées. Almeida conclut que le Brésilien est antilibéral et qu´il a un désir d’État même s’il reconnaît son inefficacité et même s’il ne se ressent pas comme élément de l´espace public. Ce que l´étude peut ici mesurer est justement la tension entre l’esprit de « libre » initiative entrepreneuriale, qui a émergé avec force dans les années 1990, et la permanence de l’héritage de siècles de tradition fortement étatique et autoritaire. L´œuvre de Alberto Carlos Almeida propose une méthodologie créative afin de rénover et de valider les thèses de DaMatta. Il propose le développement de l´éducation comme porte de sortie à son diagnostic aporétique. L´ironie veut que, ce faisant, Almeida s’inscrit contre l’essence même de la théorie damattienne, fuyant le mécanisme structurel et se rapprochant implicitement des thèses d´autres exégètes du Brésil, comme Sérgio Buarque de Holanda, Vitor Nunes Leal et même Gilberto Freyre. En dialoguant de manière insuffisante avec l´historiographie brésilienne et en insistant sur la confrontation avec un processus historique nord-américain idéalisé, Almeida arrive souvent à des conclusions qui, partant de lieux-communs, versent dans un simplisme dichotomique qui le fait échapper à la question de la singularité de la culture brésilienne contemporaine. Dans ce cas particulier, Almeida s’approprie de façon prépondérante une fraction du modèle structural de DaMatta, offusquant l´aspect le plus créatif de l´auteur, lorsque celui-ci exalte la spécificité de la culture brésilienne et ses composantes d´adaptabilité, de créativité et de production de mécanismes inclusifs. Ainsi, en dépit de la nouveauté de la méthode et de quelques ébauches pertinentes, telles le fait de nuancer les frontières entre le jeitinho brésilien et la corruption, l´ouvrage d´Almeida, qui constitue la vision la plus actuelle de l´univers damattien, est globalement frustrant. L´œuvre de Roberto DaMatta demeure dans l´attente d´une actualisation susceptible de lui conférer toute son efficace dans champ de la critique du contemporain. 1 - Voir : Freyre, Gilberto, Vida Forma e cor, Rio de Janeiro, José Olympio, 1962, p. 101. 2 - Burke, Peter, Gilberto Freyre e a Nova História, Tempo Social, v. 9, nº 2. São Paulo, USP, 1997 ; Souza, Ricardo Luiz de, Identidade nacional e modernidade brasileira. O diálogo entre Sílvio Romero, Euclides da Cunha, Câmara Cascudo e Gilberto Freyre, Belo Horizonte, Autêntica, 2007, p. 163. 3 - Voir : Freyre, Gilberto, A casa brasileira, Rio de Janeiro, Grifo Edições, 1971. 4 - Skidmore, Thomas, O Brasil visto de fora, Rio de Janeiro, Paz & Terra, 1994, p. 33-70. 5 - Voir : Freyre, Gilberto. Maîtres et Esclaves, trad. par Roger Bastide, Gallimard, Paris, 1978, 552 p. (Casa grande & senzala : as Origens da Família Patriarcal Brasileira, 1933, première édition Gallimard, 1952). 6 - Gomes, Ângela Maria de Castro. Gilberto Freyre e Oliveira Lima, « Casa-grande & Senzala e o contexto historiográfico do início do século XX », História, São Paulo, UNESP, v. 20, 2001. 7 - Voir : Cascudo, Luís da Câmara. Geografia dos mitos brasileiros, 2ª éd., São Paulo, Ed. Global, 2002. 8 - Voir : Andrade, Mário de, Aimer, verbe intransitif, trad. par Maryvonne Lapouge-Pettorelli, Gallimard, coll. « Du monde entier », Paris, 1995, 166 p. ; Macounaïma, le héros sans aucun caractère, trad. par Jacques Thiériot, Stock / Unesco / Allca xx, Paris, 1996, 343 p. ; L’Apprenti touriste, trad. par Monique Le Moing et Marie-Pierre Mazéas, La Quinzaine littéraire / Louis Vuitton, coll. « Voyager avec… », Paris, 1996, 288 p. 9 - Voir : Buarque de Holanda, Sérgio, Racines du Brésil, trad. par Marlyse Meyer, Gallimard / Unesco, coll. « Arcades », Paris, 1998, 337 p. (Raízes do Brasil, Rio de Janeiro, José Olympio, 1936). 10 - Andrade, Oswald de, Manifesto antropófago. A utopia antropofágica, São Paul, Globo, 1990. 47-52. 11 - Cunha, Euclides da, Hautes Terres. La Guerre de Canudos, trad. par Jorge Coli et Antoine Seel Métailié, coll. « Suites », Paris, 1997 ; Os sertões, Brasília, Francisco Alves, 1984 ; Souza, op. cit., p. 71-112. 12 - Faoro, Raymundo, Os Donos do Poder. A formação do patronato político brasileiro, 7ª ed., Rio de Janeiro, éd. Globo, 1987 ; Axt, Gunter, « Os donos do poder. Pesadelo estatista na cultura política brasileira. » Revista Cult, São Paulo, Ed. Bregantini, set 2008. http://revistacult.uol.com.br/novo/site.asp?edtCode=48BD31BE-2058-4145-A30B-D187665721B8&nwsCode={9C976B24-8978-40F2-A2C8-0A81F0D467CE 13 - Reis, José Carlos, As identidades do Brasil : de Varnhagen a FHC, 4ª ed., Rio de Janeiro, éd. FGV, 2001, p. 32. 14 - Voir : Rodriguez, Ricardo Vélez. Oliveira, Vianna e o papel modernizador do estado brasileiro, Londrina, éd. UEL, 1997. 15 - Leal, Victor Nunes, Coronelismo, enxada e voto, 4ª ed., São Paulo, éd. Alfa-omega, 1978. 16 - Souza, Jessé, « A sociologia dual de Roberto DaMatta : descobrindo nossos mistérios ou sistematizando nossos auto-enganos ? », Revista Brasileira de Ciências Sociais, Vol. 16 no 45 fevereiro 2001, São Paulo, ANPOCS, p. 53. 17 - Souza, ibid., p. 55. 18 - Skidmore, op. cit., p. 131-145. 19 - DaMatta, 1997, op. cit., p. 35. 20 - Jacques Le Goff & Jean-Claude Schmitt (orgs), Le Charivari. Actes de la table ronde organisée à Paris (25-27 avril 1977), École des Hautes Études en Sciences Sociales, Mouton Éditeur, Paris, New York, La Haye, 1981 ; Dictionnaire raisonné de l’Occident Médiéval, Paris, Fayard, 1999. 21 - DaMatta, op. cit., p. 83. 22 - Voir : Ortega y Gasset, José, The Revolt of the masses, London/New York, W.W. Norton & Company, 1993 ; Axt, Gunter, « Que medo do Homem-massa ! » Cult, jan. 2009, São Paulo, Ed. Bregantini. http://revistacult.uol.com.br/novo/site.asp?edtCode=7FBAAAEB-D16E-40FB-BB4D-A8929099FA3B&nwsCode=DA397322-EE76-48BE-8C0B-DD1624432FA2 23 - DaMatta, op. cit., p. 54, 60. 24 - Araújo, Hiram, « A nova roupa da festa », Folha de São Paulo, 05/02/2005, p. A3. 25 - DaMatta, op. cit., p. 62, 68, 115. 25 - Voir : Jullien, François, De l’universel, de l’uniforme, du commun et du dialogue entre les cultures, Paris, Fayard, 2008. 27 - Voir : Galvão, Walnice Nogueira, Le carnaval de Rio. Trois regards sur une fête brésilienne, Paris, Chandeigne, 2000. 28 - Paglia, Camille, « O carnaval visto de cima ». Bravo !, abril de 2009, São Paulo, éd. Abril. http://bravonline.abril.com.br/conteudo/musica/carnaval-visto-cima-432828.shtml 29 - Voir : Ribard, Franck. Le Carnaval noir de Bahia. Ethnicité, identité, fête afro à Salvador, Paris, L’Harmattan, 1999 ; Dantas dos Reis, José Marcelo, Identité, leadership et changement organisationnel dans les Blocos afro du carnaval de Bahia, thèse pour l’obtention du diplôme de Docteur de l’Université Paris 7, Sociologie, Lille, ANRT, 2000. 30 - DaMatta, op. cit., p. 64. 31 - Dahl, Robert A, Sobre a democracia. Brasília, ed. UNB, 2001 ; On democracy, New Haven/London, Yale University Press, 1998. 32 - Voigt, Léo, « O terceiro setor no Brasil : composição e atualidades », in : Axt, Gunter & Schüler, Fernando (orgs.) Brasil contemporâneo : crônicas de um país incógnito. Porto Alegre : Ed. Artes & Ofícios, 2006, p. 180. 33 - Axt, Gunter. « Raízes de um Brasil contemporâneo : entre a poliarquia e a desagregação », in : Axt, Gunter & Schüler, Fernando (orgs.), Brasil contemporâneo : crônicas de um país incógnito,. Porto Alegre, éd. Artes & Ofícios, 2006, p. 60. 34 - Sorman, Guy, L’Économie ne ment pas, Paris, Fayard, 2008. 35 - Souza, op. cit., p. 56. 36 - DaMatta, op. cit., p. 260. 37 - Leibing, Annette & Benninghoff-Lühl, Sibylle (orgs.), Devorando o tempo. Brasil, país sem memória, São Paulo, Mandarim, 2001. 38 - Kiefer, Flávio, « Modernismo renitente ».in Axt, Gunter & Schüler, Fernand. 4 X Brasil. Itinerários da cultura brasileira, décadas de 60. 70, 80 e 90, Porto Alegre, ed. Artes & Ofícios, 2005, p. 151. 39 - Voir : Huyssen, Andréas. Twilight Memories. Marking time in a culture of amnesia, New York/London, Routledge, 1995. 40 - Souza, op. cit., p. 61. 41 - Leal, op. cit. 42 - Mann, Michael, « The autonomous power of the state : its origins, mechanisms and results ». In Archives Européennes de Sociologie,. Cambrige, Cambrige University Press, 1984, p. 185-213. 43 - Roudinesco, Elisabeth. « Fidelidade à aventura freudiana » in Percurso 37, 2007. 44 - Almeida, Alberto Carlos, A cabeça do brasileiro, Rio de Janeiro, ed. Record, 2007. 45 - Folha de São Paulo, 6 mai 2007. 46 - Hitchens, Christopher, God is not great. How Religion Poisons Everything, New York, Twelve, 2007. 47 - Ferry, Luc, Apprendre à vivre : Traité de philosophie à l’usage des jeunes générations,. Paris, Plon, 2006. 48 - Michel, Régis, « Museus são máquinas de marketing », Folha de São Paulo, 01/06/2006. 49 - Voir : Paglia, Camille, Vamps and tramps, New York, Vintage Books, 1994. 50 - Global Entrepreneurship Monitor, Empreendedorismo no Brasil – 2005. Executive Report, Maria Minnit, William D. Bygrave, Erkko Autio, Babson College, Us and London Business School, UK, 2006. Link : http://www.sebrae.com.br/br/aprendasebrae/empreendedorismo_brasil.asp 51 - Skidmore, op. cit.
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