Agenda de la pensée contemporaine
(cet article est paru dans le N°14 - Automne 2009 )
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N°14-Lire L’Origine des espèces : variation et sélection
par
Le terme « darwinisme » est une création des années 1930-1940, appelée en anglais la « synthèse évolutionnaire » et en français la « théorie synthétique de l’évolution ». Le rapport de ce darwinisme à Darwin et à la lettre de son texte a été l’objet de nombreuses interrogations et contestations : depuis 1859, année de la publication de L’Origine des espèces, plusieurs versions concurrentes du darwinisme se sont opposées et ont réclamé pour elles seules la véritable fidélité à l’œuvre et à l’inspiration du maître, quand d’autres s’interrogeaient sur la pertinence de la référence à Darwin pour refonder la biologie. Qu’est-ce que ce darwinisme si contesté ? On a pu soutenir qu’il est impossible d’assigner à ce terme un ensemble cohérent de croyances et que, dès lors, il n’y aurait de darwinisme qu’en fonction des groupes ou des clubs de darwiniens. C’est une manière d’enregistrer un flou entourant le contenu théorique du darwinisme. Ernst Mayr identifiait ainsi cinq thèses de Darwin [1] : (1) l’évolution en tant que telle ; (2) la descendance avec modification (common descent) ; (3) le gradualisme ; (4) la multiplication des espèces ; (5) la sélection naturelle. Faut-il tenir chacune de ces cinq thèses pour être darwinien ? Comment identifier le noyau dur du darwinisme ? Marquer l’évolution du contenu du darwinisme est aussi une manière de rappeler que les systèmes philosophiques ne sont pas des essences [2]. Mais qu’en est-il alors du darwinisme de Darwin ? On s’étonne ainsi parfois que Darwin ait soutenu, dans L’Origine des espèces, une théorie de l’hérédité que l’on appelle « lamarckienne » et qui a trait aux effets de l’usage et du non-usage et à l’influence du milieu. Faut-il alors supposer un Darwin « lamarckien », et non « darwinien » ? L’histoire des idées est pleine de ces faux paradoxes : qu’Aristote n’était pas aristotélicien, ni Linné linnéen, Mendel pas plus mendélien que Freud freudien, et Marx surtout pas marxiste, tout au plus marxien. Darwin donc, pas darwinien : finalement, on ne s’étonnera pas de savoir que sa théorie, comme toutes choses en ce monde, a évolué, c’est-à-dire a varié, s’est développée dans l’histoire, formant une phylogénie de thèses ou un faisceau en constant développement. Les présentations scolaires retiennent toutefois le plus souvent la caractérisation, également proposée par Ernst Mayr, selon laquelle le mécanisme darwinien est un « procès à deux étapes » (two-step process) : variation puis sélection, c’est-à-dire que le mécanisme darwinien repose sur la production d’individus différents, puis sur le « tri » ou « classement » (sorting) exercé sur cette variabilité [3]. Indépendamment de son intérêt descriptif, une telle caractérisation a un intérêt historique : en effet, l’incompréhension de la structure binaire du procès darwinien structure la réception de l’ouvrage et les nombreux malentendus qui l’ont rythmée. Faute d’avoir compris le caractère two-step du mécanisme, on a souvent accusé Darwin et le darwinisme de plusieurs maux ou de plusieurs failles. Sélectionnisme intégral, axé sur la lutte pour l’existence, le darwinisme serait une théorie incomplète, doublée d’un danger politique et moral : un individualisme forcené, conduisant à l’eugénisme et au nazisme. Théorie de l’aléatoire, le darwinisme serait réfuté par les faits (la variation suit des lois) et rendrait proprement inconcevable et improbable la construction d’organes complexes tels que l’œil. Ainsi, il apparaît que c’est toujours faute d’avoir tenu ensemble ces deux mécanismes que les débats darwiniens se sont concentrés sur deux points de crispation obsessionnels : d’une part le darwinisme social [4], d’autre part le créationnisme [5]5. Dans un cas, le darwinisme est l’agresseur, dans l’autre, il est la victime ; mais dans tous les cas, un « monstre » social, culturel, politique et moral s’invite à banqueter à la table du darwinisme. Lutte et sélection : la nature en guerre ? L’histoire de L’Origine des espèces a été comme écrasée par deux concepts : la lutte pour l’existence qui fait l’objet du chapitre III, la sélection naturelle qui fait l’objet du chapitre IV. La plupart des choses qui s’écrivent sur Darwin partent de là ou y reviennent. Le concept de lutte pour l’existence semble ranger Darwin du côté des tenants de l’idée, exprimée par un vers de Tennyson, d’une nature red in tooth and claw. Pourtant, trop vite comprendre « lutte » comme « guerre de tous contre tous » ou « élimination des plus faibles », constitue un contresens. Jacques Novicow, s’interrogeant en 1910 sur la pertinence du syntagme « darwinisme social », s’employait déjà à préciser le sens du mot « lutte », sentant bien qu’il y avait là la source de bien des incompréhensions [6]. Une lecture même superficielle du chapitre III de L’Origine des espèces suffit pourtant à nous rappeler qu’il faut entendre par « lutte » non l’élimination d’un individu par un autre, mais une théorie générale des rapports entre les êtres et avec leur milieu. Darwin insiste bien sur ce point : il utilise « lutte pour l’existence » dans un sens large et métaphorique, « incluant la dépendance d’un être envers un autre, et (ce qui est plus important encore) non seulement la vie de l’individu, mais son succès à laisser une progéniture ». Ainsi, la lutte pour l’existence n’est pas si bien exprimée par l’image de deux chiens qui s’arrachent un bout de viande que par celle d’une plante en bordure du désert : l’individu est inséré dans un milieu, un environnement fait d’autres vivants, de forces physiques, d’un climat, d’un ensemble d’éléments susceptibles d’être mobilisés comme ressources ou de mettre en péril sa survie. Bref, l’individu, pour continuer à exister, doit composer avec cet environnement selon certains rapports : aucun organisme n’est jamais accueilli favorablement et la survie n’est jamais garantie. La théorie de la lutte pour l’existence n’est rien d’autre que cette théorie générale des rapports, formulée de manière à réfuter le providentialisme, l’idée d’une nature harmonieuse et bonne ou d’une adaptation parfaite d’un organisme à son milieu. Ainsi, on a trop vite fait de réduire le darwinisme à l’introduction en biologie d’un modèle socio-économique : « écrasons les pauvres » ou « laissez faire ». Une telle lecture, quoique séduisante et appuyée par de nombreuses occurrences au cours de l’histoire, est cependant contestable : d’abord, les apôtres du libéralisme n’ont pas eu besoin du darwinisme pour défendre leur programme politique ; mais surtout, l’important héritage socialiste du darwinisme montre qu’on a tort d’associer trop vite darwinisme à libéralisme. La sélection naturelle n’est pas seulement un processus d’élimination des moins aptes, mais une force positive, qui construit, accumulant les variants favorables. De nombreux évolutionnistes ont voulu souligner l’existence dans la nature de mécanismes d’entraide ou de coopération [7]. Hasard et finalité : l’inévitable athéisme ? Par ailleurs, la question de la variation dans la nature a conduit à renouveler, à propos de Darwin, l’opposition ancienne de l’épicurisme et du providentialisme. La critique est ici en trois temps. D’abord, Darwin aurait renouvelé des Anciens la vieille déesse « Hasard » (Chance) : « Il est dit que Darwin suppose que les variations se produisent par hasard (by chance) et que le plus apte survit aux dangers (chances) de la lutte pour l’existence, et que par là, le hasard (chance) est substitué au dessein providentiel » [8]. Ensuite, le darwinisme serait coupable d’avoir aboli la téléologie et éviscéré « l’argument tiré du dessein » (the argument from Design), qui remonte de l’observation des dispositifs adaptés et harmonieux dans la nature à l’hypothèse d’un ingénieux (et divin) architecte à leur principe. Enfin, et par voie de conséquence, le darwinisme serait nécessairement un athéisme. Contre cela, plusieurs auteurs, darwiniens comme anti-darwiniens, anciens comme modernes, ont soutenu que le darwinisme n’avait pas plus à voir avec le théisme qu’avec l’athéisme qu’aucun autre ouvrage de science, par exemple les Éléments d’Euclide [9]9. Un contemporain de Darwin (Francis Bowen) n’hésite pas à renouveler contre lui l’objection que faisait Pascal à Descartes : quand bien même le mécanisme naturel fonctionnerait seul et le déterminisme naturel semblerait conduire à un athéisme, Darwin n’a pas pu se passer de supposer une chiquenaude initiale (Bowen parle « d’un coup de fouet ») pour initier le processus. Dans l’édifice darwinien, la question de l’origine de la vie est laissée dans l’ombre ; puis, une fois donnés les premiers « prototypes », tout s’ensuit, découlant de ce que la nature est entièrement réglée par des lois : donnez-moi un chaos initial, dotez-le du corps des lois dans la nature et je produis sans coup férir le monde tel que vous le connaissez. Mais qui donne le chaos initial ? Cela nous conduit au thème très débattu de la variation aléatoire, centrale pour l’objection d’un Darwin épicurien. Darwin n’a cessé d’affirmer qu’il n’utilise le mot « hasard » (chance) que pour marquer l’ignorance dans laquelle nous sommes des causes de la variation [10]10. S’appuyant sur cela, Thomas Henry Huxley vide le concept de hasard de toute signification : tout ce qui se produit dans l’univers a une cause, et pourrait donc être prévu si l’on avait « une pénétration suffisante de l’ordre de la nature ». Huxley donne du darwinisme une version entièrement déterministe où le mécanisme absorbe toute forme de téléologie : la croyance en la légalité des phénomènes détermine a priori l’ensemble des états successifs de l’univers. L’homme de science n’a pas la superstition du hasard : il sait que des causes déterminent « la forme des vagues écumantes qui s’écrasent sur les rochers » ou celle des « bulles de savon qui flottent dans le vent ». Les théories de Cournot auraient pu permettre ici de définir philosophiquement le hasard comme la rencontre entre différentes séries causales. Que se passe-t-il si l’on tient ensemble les deux principes de sélection et de variation ? Si au lieu de prendre les chapitres III et IV comme uniques pivots de la lecture, on relit les chapitres I, II et V comme contribuant de manière essentielle au projet et au propos de Darwin ? Cela conduit à changer d’optique et fait apparaître, du point de vue de Darwin lui-même, l’importance de l’idée de variation et de ses lois : L’Origine des espèces marche sur ses deux jambes. On peut donc partir du noyau dur du darwinisme (lutte, sélection naturelle et variation aléatoire) sans pour autant travailler sur la vérité du darwinisme, mais sur les différentes manières dont on l’a lu. Les lecteurs de Darwin ont souvent produit un Darwin sans la sélection naturelle et sans la variation aléatoire – autrement dit ils ont, lisant L’Origine des espèces, produit un Darwin sans darwinisme. Le plus surprenant est qu’ils ont produit cette image non d’un point de vue extérieur à Darwin, mais en puisant dans les textes mêmes de Darwin. Ainsi, pour critiquer le darwinisme, ses adversaires et continuateurs ont toujours disposé d’un atout majeur : Darwin lui-même. Plutôt que de se dire anti-darwiniens, ils ont pu jouer Darwin contre Darwin et se trouver ainsi parés du double avantage de la fidélité au maître et de l’hétérodoxie théorique. Une phrase en particulier revient constamment dans les lectures de Darwin, une phrase provocatrice et dérangeante aux yeux d’un darwinisme simplifié, phrase présente dès 1859, située bien en vue à la fin de l’introduction de L’Origine des espèces et maintenue à cette place quasiment sans subir de modifications tout au long des éditions successives : « I am convinced that natural selection has been the most important, but not the exclusive means of modification. » Cette phrase a été diversement interprétée, les uns mettant l’accent sur the most important, les autres sur la restriction apportée par not the exclusive : elle est au cœur de toutes les querelles d’interprétations où l’on joue Darwin contre Darwin. S’appuyant sur Darwin lui-même, les critiques n’ont plus prétendu défaire Darwin : ils se sont bornés à le compléter. Tous donc, quand bien même ils ne croyaient pas à la sélection naturelle ou à la variation aléatoire, ont pu se dire en un sens fidèles à l’héritage de Darwin. Pour eux, Darwin avait simplement contribué à l’une des grandes quêtes scientifiques du XIXe siècle : la recherche des lois de la nature, la pensée de l’évolution dans la nature animée comme inanimée. Parmi ces évolutionnismes, l’originalité du darwinisme était alors en question : Darwin en avait-il proposé un mécanisme partiel (la sélection naturelle) ou a-t-il le premier tenté une vaste synthèse embrassant tous les faits des sciences naturelles ? Là où Wallace affirme que « en moins de huit ans, L’Origine des espèces a su convaincre les esprits de la plupart des grands hommes de science », là où il chante le spectacle de la nouveauté produite par cet ouvrage (« new facts, new problems, new difficulties ») [12]12, on rencontre plutôt le tableau d’une incompréhension générale. De nombreux lecteurs de Darwin pensent qu’ils ont anticipé Darwin ; ils s’emploient à reconnaître des thèmes (exercice suscité – notamment, mais non exclusivement – par la nécessité de traduire l’ouvrage dans d’autres langues). Tous ces facteurs ont pu conduire à ignorer le sens du livre et à en proposer différentes lectures rivales [13]13. Ces difficultés d’interprétation témoignent également de la formidable invention conceptuelle représentée par l’ouvrage de Darwin. On aurait trop vite fait de considérer que « natural selection » et « struggle for existence » sont de simples transferts de termes ordinaires, des émanations de la société victorienne ou de l’idéologie libérale : on les accuse alors d’être les portes toutes trouvées de la co-pénétration de la science et de la société, de l’histoire naturelle et de l’histoire humaine ; on rappelle que le darwinisme est tout à la fois et dès le départ social et biologique. Les concepts proposés par Darwin sont des syntagmes nouveaux, qui donnent un corps neuf à des thèmes déjà anciens (comme la guerre de tous contre tous). Ces concepts vont être appelés à la plus grande diffusion, assurant le succès populaire de Darwin, mais leur originalité se perd dès lors que l’on veut les traduire. Quant à la question de l’origine des espèces, célébrée par Darwin comme le « mystère des mystères », ostensiblement mise en avant dans un titre qui a suscité de nombreux commentaires dès la parution du livre, la formulation même « origin of species » n’a pas manqué de faire écran. D’abord parce que les bons esprits ont cru qu’ils avaient ici affaire à une contradiction dans les termes : l’espèce n’a pas d’origine puisqu’elle est un terme premier, créé comme tel au commencement des choses. Ensuite parce que la bonne science avait cru se défaire de l’ancienne question de l’origine, reléguée au domaine de l’ancienne poésie et des mythes religieux des cosmogonies. Enfin parce que le terme même d’origin ouvrait un programme dont les grandes lignes faisaient signe dans différentes directions, que la langue allemande rend apparentes : Origin, est-ce Entstehung ou Ursprung, mécanisme de survenue ou source première ? La doctrine de Darwin, est-elle mieux qualifiée comme Abstammungslehre ou comme Entwicklungsgeschichte – dérivation ou développement ? Fait-elle signe vers la recherche d’arbres généalogiques ou vers la description des métamorphoses embryonnaires ? Les traducteurs et les disciples interprètent, tentent de comprendre ce que fait Darwin à partir de ce qu’ils connaissent. Ils sont attentifs aux nouveaux faits et les enrôlent au profit de telle ou telle interprétation. Darwin lui-même s’avère très hésitant, voire réticent par rapport aux termes mêmes qu’il emploie : il ne cesse de clamer qu’il regrette l’expression natural selection qui a suscité tant de commentaires et d’incompréhensions et dont il aurait dû se passer. Pris dans des processus d’hybridation avec les commentaires de ses lecteurs, Darwin ne semble pas toujours percevoir ce qui fait son originalité ou ses divergences : il oscille et modifie considérablement son texte. Darwin lui-même recommande de se référer toujours aux dernières versions : il les fait envoyer par Murray à ses correspondants, il en veut aux critiques qui ne tiennent pas compte de ces corrections ; il se brouille avec les traducteurs qui ne reportent pas méticuleusement chaque changement. Sans doute Darwin lui-même ne sait-il pas toujours ce qui, dans son système même, importe. Les corrections apportées à ses diverses éditions, les ambiguïtés mêmes contenues dans la première édition, tout cela travaille son texte et montre que Darwin n’a pas la raideur dogmatique d’un darwinien. Il est lui-même ouvert au travail de reconfiguration de son œuvre. Ainsi, si certains interprètent L’Origine des espèces comme un système dont on peut tirer des conclusions en outrepassant ce que dit le texte, force est de constater que toute sa vie Darwin, bien loin de se préoccuper de l’esprit du darwinisme, s’attache à parfaire ou à complexifier la lettre même de son ouvrage. Darwin lui apporte d’incessantes retouches et ne cesse de reprendre sa copie avec minutie ; jusque dans la sixième édition, il corrigera des virgules qui n’avaient pourtant pas changé de place dans les cinq éditions précédentes. L’exemple de Clémence Royer est éclairant. Elle traduit Darwin dès 1860, parce que, dit-elle, elle l’a anticipé dans ses cours à Lausanne ; elle se hâte d’en tirer des conclusions philosophiques qu’elle expose longuement dans sa préface, puis, cela fait, elle n’y touche plus et passe à une autre question (l’origine de l’homme et des sociétés) dans laquelle elle se flatte d’avoir, une fois encore, précédé Darwin. Toute la difficulté se trouve résumée dans cet écart : que le lecteur ouvre le livre en cherchant le darwinisme, quand Darwin demande seulement qu’on lise ce qu’il écrit, dans un esprit de justice et qu’on ne lui attribue pas ce qu’il n’a pas dit : non, il n’a pas fait de la sélection naturelle la clef unique de toute la transformation des espèces, simplement le facteur principal mais en aucun cas exclusif ; non, il n’a pas dit que la variation était indéterminée ou aléatoire, il a dit que le hasard n’était qu’un voile pour l’ignorance et a même consacré tout un chapitre de L’Origine des espèces à la question des lois de la variation. Ainsi, les lecteurs sont fondés à vouloir compléter la sélection naturelle en mettant l’accent sur ces autres facteurs, trop négligés, ou sur ces lois de la variation, encore inconnues. Si L’Origine des espèces est beaucoup lue mais trop vite, ou trop mal, et qu’elle est de ce fait peu comprise ; si elle forme surtout un texte feuilleté, dont les nombreuses pages peuvent être jouées les unes contre les autres, qu’en eût-il été si Darwin n’avait pas publié seulement cet abstract qu’est L’Origine, mais s’il avait mené son projet initial à terme et si son big species book avait vu le jour ? Notes 2 David L. Hull, « Darwinism as a historical entity : a historiographical proposal », in David Kohn (éd.), The Darwinian heritage, Princeton University Press, 1985, p. 773 à 812. 3 Notamment Ernst Mayr, introduction à Charles Darwin, On the Origin of species. A facsimile of the first edition, Harvard University Press, 1964, p. xvi ; ou encore « Darwin’s five theories of evolution », art. cit., p. 770. 4 C’est parce qu’ils ont l’un et l’autre en ligne de mire le darwinisme social et ses avatars qu’André Pichot ou Patrick Tort, l’un comme procureur à charge, l’autre en avocat de la défense, épuisent leurs beaux talents dans des questions stériles. Pichot entend montrer que le darwinisme, c’est la théorie de la lutte, et qu’il produit tous les maux de l’histoire postérieure, ouvrant une boucle qui ne sera fermée qu’avec Hitler. Tort propose à l’inverse de tordre la boucle en un ruban de Mœbius avec ce qu’il appelle « effet réversif de l’évolution ». 5 Cent cinquante ans après la publication de L’Origine, on peine encore à croire qu’on puisse nourrir une foi religieuse authentique et un credo scientifique darwinien. Différents ouvrages du dominicain Jacques Arnould travaillent sur la ligne de cet étonnement sans cesse renouvelé. 6 Jacques Novicow, La Critique du darwinisme social, Paris, Alcan, 1910. 7 Comparer en particulier Richard Hofstadter, Social Darwinism in American thought (1944), Boston, Beacon Press, 1992 asi que Robert C. Bannister, Social Darwinism. Science and myth in Anglo-American social thought, Philadelphia, Temple University Press, 1979. Sur la guerre et le darwinisme, cf. David Paul Crook, Darwinism, war and history : the debate over the biology of war from the “Origin of species” to the First World War, Cambridge, Cambridge University Press, 1994. 8 Voir le texte de Huxley intitulé « On the reception of the Origin of species » (1887), initialement paru dans Life and letters of Charles Darwin. 9 Une tentative de pacification de la supposée guerre du darwinisme et de la religion se trouve dans l’ouvrage d’Armand de Quatrefages, Darwin et ses précurseurs français. Étude sur le transformisme, 2e éd., Paris, Félix Alcan, 1892. Sur les différentes manières dont les religions se sont accommodé le darwinisme, cf. James R. Moore, The Post-Darwinian controversies : a study of the Protestant struggle to come to terms with Darwin in Great Britain and America, 1870-1900, Cambridge University Press, 1979. Parmi les conciliateurs modernes, on trouve le darwinien Michael Ruse, par exemple son « Darwinism and atheism : different sides of the same coin ? », in Endeavour, 22-1 (1998), p. 17 à 20. 10 Voir en particulier le début du chapitre V de L’Origine. 11 Voir les travaux de Richard Weikart, From Darwin to Hitler : evolutionary ethics, eugenics and racism in Germany, New York, Palgrave MacMillan, 2004. 12 Alfred Russel Wallace, Contributions to the theory of natural selection : a series of essays, London, Macmillan, 1870, p. 47. 13 Voir notre Darwin contre Darwin, Paris, Le Seuil, 2009.
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