Agenda de la pensée contemporaine
(cet article est paru dans le N°14 - Automne 2009 )
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N°14 - Résumé des articles
par
Darwin entre ombre et lumière par François Roussel L’anniversaire de la publication de L’Origine des espèces est l’occasion d’un parcours en « darwinie ». Alors que le créationnisme, sous des formes en partie renouvelées (tel l’Intelligent Design), ne cesse de faire retour, deux querelles majeures, d’ailleurs intriquées, peuvent être examinées au regard de l’Autobiographie enfin complète de Charles Darwin : le partage des magistères (entre « la » science, accusée d’athéisme et de réductionnisme, et « la » religion, détentrice supposée des valeurs morales) ; et les accusations de racialisme et d’eugénisme articulées à l’encontre de Darwin, notamment par André Pichot. Darwin n’est-il qu’un auteur mineur, véhiculant les idées les plus réactionnaires, racistes, pré-nazies, de son temps ? Ou au contraire y a-t-il un « effet réversif » de l’évolution, morale non explicitée de Darwin compensant l’idéologie de la lutte à mort et de la prééminence des meilleurs, comme le soutient Patrick Tort ? Le choix présidant à ce dossier est de privilégier deux ouvrages dont les auteurs ont été invités à fournir chacun sa contribution. Lire L’Origine de espèces : variation et sélection Thierry Hoquet Thierry Hoquet invite, en toute rigueur, à la lecture de L’Origine des espèces, procès en deux étapes : variation et sélection. Les chapitres III et IV exposent les thèses de la « lutte pour l’existence » et de la « sélection naturelle ». Ces expressions désignent la survie d’espèces et non le combat à mort d’individus. En outre, Darwin, qui cherche des lois, ne se rallie pas à une doctrine du pur hasard. Contre la téléologie grossière (l’œil fait pour voir), il recourt à une téléologie restreinte, une « téléonomie », proposant une voie médiane, celle d’un mécanisme finalisé sans but, aveugle, qui suppose ou non un Créateur. Il faut donc relire aussi les chapitres I, II, V de celui qui a écrit : « je suis convaincu que la sélection naturelle a été le moyen le plus important, non le seul, de la modification ». Si nombre de lectures contradictoires effacent Darwin ou le jouent contre lui-même, elles témoignent en fait de la formidable invention conceptuelle d’un chercheur modeste, prudent, à la recherche du « mystère des mystères », l’origine (survenue ou source ?) des espèces vivantes. Les origines du vivant Entretien avec Jean-Claude Ameisen recueilli par Aliocha Wald Lasowski Après avoir souligné l’immensité des temps pendant lesquels, par minuscules et incessantes variations, se sont transformées les espèces vivantes, Jean-Claude Ameisen présente les principes (d’hérédité, de population et de divergence), et les lois, de « sélection naturelle » et (pour les espèces sexuées) de « sélection sexuelle », que Darwin a tenté d’établir. Darwin suppose (contre Wallace) des effets réciproques entre les variations de l’environnement et celles de l’hérédité. Que se passe-t-il à l’âge actuel de la génétique moléculaire ? Sont successivement évoqués les mécanismes de défense résultant de symbioses d’espèces réalisées pendant l’évolution ; le « tempo » inégal de l’évolution ; le rapport entre le développement de l’embryon et l’évolution du vivant (qui reprend une grande idée de Darwin) ; l’autodestruction cellulaire, qui protège la vie… Si aujourd’hui ce n’est plus la question de l’origine des espèces qui mobilise les chercheurs mais celle de l’origine du vivant, ce travail s’effectue dans la ligne de Darwin, initiateur de génie, et à partir de ses découvertes. Les nanotechnologies compromettent-elles l’avenir de l’homme ? Etienne Klein Les nanosciences explosent. Alors que les sciences et les techniques au nom desquelles nous sommes gouvernés donnent lieu à de vives critiques qui reflètent le désarroi de l’opinion, qu’en est-il de ces particules de l’ordre du nanomètre — un milliardième de mètre, soir six fois la taille d’un atome ? Quel usage peut-il en être fait ? A quel prix ? Quel imaginaire nourrissent-elles, entre mythe exalté du posthumain et catastrophisme de la servitude absolue ? Jean-Michel Besnier examine en détail les conséquences de ces interventions aux niveaux atomique, moléculaire et macromoléculaire. Elles sont vertigineuses. Raison de plus pour réaffirmer nos exigences morales.
Pierre Chartier Dans l’Europe préindustrielle, la pratique du prêt à intérêt est généralisée. Les plus pauvres y recourent largement, hors de tout système bancaire et étatique. L’enquête historique permet-elle de valider la théorie de l’« Économie morale », doctrine altermondialiste selon laquelle il conviendrait de « réencastrer » l’économie dans la totalité des domaines de la vie sociale pour réinstaurer une société plus solidaire, pratiquant notamment dons ou prêts aux plus démunis ? L’exemple du microcrédit est ainsi au cœur de ce livre passionnant consacré à l’Ancien Régime. Quels travaux et quel engagement faudrait-il aujourd’hui pour espérer avancer dans la difficile question, pourtant cruciale, qu’obscurcit notre âge consumériste et ultralibéral en crise : comment éradiquer la pauvreté et instaurer, pour tous, une vie plus humaine ?
Frédéric Gros Étude philosophique, Fictions du pragmatisme rend compte de la vision du monde des frères James (leur conception du rapport entre le corps et l’âme, leur problématique du langage et des signes, leur idée d’expérience…). Selon Frédéric Gros, ce livre précis est un génial traité des fantômes : non certes au sens d’apparitions au clair de lune, mais comme intermédiaires, délégations (d’objets), ondes, vampirisations, injonctions ou écrans – et surtout comme ces masques et ces errances du temps de nos vies, entre regret et responsabilité. La mise en miroir constante des deux œuvres suggère que chaque frère a pu être le fantôme de l’autre. Yan Thomas Un pontife au travail John Scheid Philippe Moreau La souveraineté du père. Yan Thomas et l’anthropologie de la parenté romaine Marie-Angèle Hermitte Les choses — un séminaire imaginaire Marie-Angèle Hermitte rend compte d’un projet de séminaire commun avec Yan Thomas. Il devait porter sur les « choses », c’est-à-dire, écrit-elle, « ses » temples, remparts, marchés et bois sacrés ; « ma » biodiversité, « mon » atmosphère et les trithérapies contre le SIDA… Ou comment le spécialiste de la romanité rencontre une collègue soucieuse de conférer un statut juridique à des « objets » contemporains relevant du domaine public, de la vie possible ou espérée des hommes dans la cité. Paolo Napoli La pensée de l’« entre » Traitant de l’expédient, Yan Thomas médite sur l’apprivoisement du temps par les pratiques sociales. Qu’il s’agisse de procédures possessoriales (entre possession et propriété) ou de questions de succession (entre le mort et le vif), comment gérer cet « entre » le présent et le futur, cette zone d’urgence, de passage ? Le droit romain tel qu’il le réimagine est l’inventaire des solutions historiquement variées pour gérer de tels entre-temps. Cautèle, stratagème ? L’essentiel est ce mouvement par où la contradiction est assumée comme principe d’intelligibilité du réel : non synthèse mais juxtaposition. Grâce à Yan Thomas, le droit retrouve sa dimension anthropologique première. Florence Dupont Rome réenchantée Yan Thomas a participé à ces grandes entreprises collectives que furent L’Histoire de la famille et L’Histoire des femmes. Synchronique, opposé à toute globalisation positive et historiciste, il reprend telles quelles les catégories indigènes, familia, patria potestas, pater familias, alimenta, qu’il interroge avec un sens remarquable de la formule et une savante espièglerie narguant les idées reçues : qu’est-ce qu’être pater, qu’est-ce que nourrir l’alumnus, en quoi Rome recourait-elle aux mères porteuses, comment distinguer la situation sociale et le statut juridique des femmes ? Sur tous ces points, Yan Thomas fait de Rome un monde autre, animé par une « pensée sauvage » complexe, à la fois pragmatique et fictionnelle. Il réenchante la Rome antique. Marc Buffat Une douleur si aiguë Entre le 26 octobre 1977, date de la mort de sa mère, et le 15 septembre 1979, Roland Barthes tient un « journal de deuil ». Ces notations parfois très brèves, au plus loin de la « littérature », disent en sa banalité l’irréparable du chagrin d’un fils. Mais aussi, au présent de l’écriture, elles sont la trace de la mort de leur auteur. Actualité de Roberto DaMatta Gunter Axt Gunter Axt propose un bilan critique détaillé du livre de Roberto DaMatta, Carnavals, bandits et héros, paru en 1977. DaMatta a su rendre la sociologie accessible à un large public. Dans la riche tradition des exégètes de l’identité brésilienne, il est une référence majeure et complexe : privilégiant l’anthropologie face à l’histoire ; pratiquant l’intuition, mais structurale, voire « aporétique » ; admirant le modèle « impersonnel » US mais dénonçant les élites au profit de la culture populaire, vraie matrice de la brasilianité… En fonction des analyses de DaMatta, Gunter Axt examine notamment les carnavals et écoles de samba, à Rio et ailleurs, qui font du Brésil une terre de culture festive sans pareille dans le monde. Il propose ensuite une mise au point sur le Brésil moderne (depuis 1988) et termine sa recension par l’examen d’une enquête d’opinion récente d’inspiration damattienne, dont les conclusions, eu égard à leur modèle, ne laissent pas d’être fort ambiguës.
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