Agenda de la pensée contemporaine
(cet article est paru dans le N° 13 Printemps 2009 )
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N°13 - Résumés des articles
par
Lier droit et vie : à partir de la citoyenneté romaine. Hommage à Yan Thomas Yan Thomas est mort le 11 septembre 2008, au moment où ses travaux allaient trouver leur plein épanouissement. En prélude au dossier spécial que nous lui consacrerons dans le prochain numéro, voici le témoignage du philosophe italien Giorgio Agamben, qui fut son ami. D’où nous vient la parole ? La descente du larynx Selon le linguiste Carstairs-McCarthy, le langage humain, ce mystère, serait né il y a environ 200 000 ans lorsque, conséquence de la bipédie, le larynx est descendu dans la gorge de l’Homo sapiens. Cette modification anatomique aurait permis de produire des sons, consonnes et voyelles, en grand nombre. Comment cette possibilité issue de l’évolution a-t-elle, selon cette hypothèse, entraîné par « exaptation », sans transition connue et dans toutes les langues, la taille énorme du vocabulaire, comment a-t-elle rendu possible la syntaxe et la double articulation : voilà ce qui est exposé avec précision dans cet article. Nous sortons enfin des explications finalistes par la fonction (communiquer, se faire valoir, conter). N’est-il pas plus pertinent de supposer, quoi qu’il nous en coûte, que les mots parlés n’existent pas afin de signifier, mais que les significations existent en sorte que les mots parlés aient quelque chose à exprimer ? Les mathématiques diront-elles un jour la nature du temps ? L’unité de la physique en question La physique quantique et la relativité générale, ces deux jambes théoriques de la physique contemporaine, ne marchent pas de conserve. Probabiliste, du côté du monde microscopique, la première se déplace dans un espace-temps rigide ; alors que la seconde, déterministe, embrassant les galaxies, s’inscrit dans un espace-temps souple et malléable. Le défi à relever est de concevoir un espace-temps compatible avec ces deux points de vue. La formalisation des « géométries non-commutatives » proposées dans les années 1980 par le mathématicien Alain Connes, ainsi que la « structure causale de l’univers » élaborée au même moment par le physicien Roger Penrose, permettent d’imaginer un espace mais aussi un temps discontinus, émergeant d’une structure plus profonde. Même si elles n’unifient pas la physique, ces hypothèses relancent la réflexion un siècle après les travaux décisifs d’Einstein. Droit et démocratie L’invention de la démocratie Penseur de l’imagination, Cornelius Castoriadis interroge la naissance de la démocratie athénienne — d’où nous procédons — en récusant le déterminisme marxiste comme l’éloignement structuraliste. Ce travail de philosophie politique, qui est en creux un dialogue serré et respectueux avec les thèses d’Hannah Arendt, privilégie les historiens et les tragiques : il insiste en particulier sur l’idée de l’auto-limitation de l’hubris dans la cité. Renaissance du droit politique Le droit constitutionnel pose des questions indissolublement politiques et juridiques. Le champ géographique d’investigation des deux ouvrages recensés est en outre des plus éclairants pour notre pays, dont la culture juridique, écrite, s’est constituée dans ce domaine autour des concepts de « souveraineté » et d’« État ». Qu’il s’agisse donc de l’esprit de la « constitution anglaise », énigme pour nous, ou d’une nouvelle théorie de la Fédération, à partir de l’exemple des États-Unis d’Amérique mais touchant aussi à l’Europe, ces deux livres proposent des vues fortes, neuves, subtiles, d’un intérêt considérable. Renouvelant en profondeur la réflexion, ils témoignent de ce que le droit constitutionnel est un droit politique. Non sans une confusion d’esprit qui touche jusqu’aux féminismes, l’aspiration à l’égalité des sexes dans les sociétés démocratiques produit un retournement de l’égalité même. S’appuyant sur les leçons des sociétés « sociocosmiques », Irène Théry, qui défend l’institution tout en s’élevant contre le « machisme social », préfère parler, plutôt que de différence des sexes, de la division par sexes, institution centrale, constitutive du social à côté de la division par âges et par générations. Pour l’« anthropologie féminine » sereine qu’elle défend, et qui, au risque d’affaiblir l’« attente normative », reconnaît l’importance des tensions cultivées au plus haut par chaque société, la vie sociale est sexuée de part en part. Lacan encore L’écriture du semblant Dans le Séminaire XVIII, au sein de la pensée logicisée du « mathème », apparaît en 1971 le concept de « semblant ». Provenant de similare (« ressembler »), il n’est pas qu’une fiction, il sert à soutenir le réel. Point d’articulation entre objectivité et subjectivité, il a pour antonymes et la réalité et la vérité. Défile alors une série très cohérente de références articulées : les météores, la parade animale, le fétichisme marxien, le visage, le phallus, la castration, le signifiant, le discours (les quatre discours)… De sorte que la vérité, entre sa « structure de fiction » et l’exigence de se dire, « se supporte d’un mi-dire » — d’où la question de la « différence » sexuelle (masculin/féminin) et le statut de la lettre. Retour au semblant, qui colore de son « sang rouge » la vérité maintenue au bord de l’évanouissement du sujet, lui redonne des couleurs… Carrefour Lévi-StraussClaude Lévi-Strauss : « un héros de l’esprit »par Françoise Gaillard Le structuralisme, et son plus illustre représentant, Claude Lévi-Strauss, sont-ils aujourd’hui lettre morte ? 1962, année culminante où sont publiés La Pensée sauvage et Le Totémisme aujourd’hui, a valeur de test : Paul Ricœur, admiratif et critique, Roland Barthes, enthousiaste et mimétique, donnent la mesure de ce « moment structuraliste », qui s’articule avec le linguistic turn. Là où l’herméneute discerne un « transcendantalisme sans sujet », donc une philosophie (Lévi-Strauss est d’accord), le néo-sémioticien espère fonder une socio-logique du monde moderne, de la mode à la littérature. Cependant, l’enquête anthropologique de Claude Lévi-Strauss sur l’activité structurante de l’esprit humain, à l’œuvre dans les mythes, se développe dans toute sa rigueur. Héroïque aventure intellectualiste, estime Françoise Gaillard, qu’il ne faudrait pas laisser, en notre âge numérique, aux seules sciences cognitives. Un « protreptique » sensible : exhortation à l’anthropologie structurale Le volume des œuvres de Claude Lévi-Strauss paru en 2008 dans la Bibliothèque de la Pléiade a été composé par l’auteur. Bien des textes majeurs en sont exclus. Pour comprendre la séquence formée par Tristes Tropiques, Le Totémisme aujourd’hui, La Pensée sauvage, les « Petites Mythologiques » et Regarder Écouter Lire, Martin Rueff refuse l’explication par l’insistance sur des « textes littéraires », ou une inflexion « esthétique », ou pis, une sortie du structuralisme. Il propose la notion de « protreptique » et l’image du « modèle réduit », théorisé par Lévi-Strauss lui-même. Dans ce recueil, le système de l’anthropologie structurale n’est nullement absent, mais ramassé, énoncé selon les règles d’une « esthétique sauvage » : dépassant l’opposition traditionnelle entre le beau naturel et le beau artistique, vouée au culte de l’objet, et servant (chez le sauvage) à protéger la pureté des êtres et des choses contre l’impureté du sujet. L’anthropologie symbolique du corps. « Si je m’autorise à vous parler du côté intime et concret de la connaissance que Lévi-Strauss possède des cultures, c’est que, quand j’ai assisté pour la première fois à son séminaire, Lévi-Strauss ne faisait pas du tout un cours sur le structuralisme – qui était peut-être visible pour des esprits plus aguerris que moi, comme le mode de pensée que Lévi-Strauss cherchait déjà à mettre en évidence dans l’approche des mythes -, mais nous parlait des privilèges du terrain des îles Fidji ou des rituels de chasse chez les Indiens Tupi-Kawahib. C’était dans le détail le plus menu : on apprenait d’où provenaient les plumes qui servaient aux rituels et les différents objets intégrés dans les « paquets-rituels », comment s’organisait la chasse aux aigles, etc. Je dois à Lévi-Strauss cette approche concrète des choses. » Lévi-Strauss critique de Freud Dans Le Totémisme aujourd’hui, Claude Lévi-Strauss récuse les explications fondées sur les pulsions : les affects et les émotions, obscurs, ne sont que des résultats subjectifs de normes externes et objectives. En outre il ne reconnaît aucun sens à la quête de l’origine. A l’inverse, selon l’analyse structurale, tout mythe est traductible en tout autre, tout code en tout autre. Analyser, c’est entre-traduire, et du même coup formaliser la grammaire générale de la pensée. Même si cette critique s’inscrit dans un cadre que Freud s’est justement efforcé d’élargir, Lévi-Strauss a porté le fer sur le double front du pulsionnel et de l’originel face au génie freudien qui opère une refonte décisive de la causalité psychique. Du masque ou la pensée charnelle au monde La simultanéité du centenaire de la naissance de Maurice Merleau-Ponty (1908-1961) et de Claude Lévi-Strauss permet d’évoquer leurs liens, croisements et différences dans le regard qu’ils portent sur l’humanité. Comment ces deux témoins d’une appréhension multiple du monde pensent-ils la diversité des signes, des symboles, des langages et des langues ? Claude Imbert, dans Lévi-Strauss, le passage du Nord-Ouest, montre que c’est à l’analytique des qualités, textures et couleurs, point d’inflexion dans la pensée de Merleau-Ponty, que Lévi-Strauss rend hommage, à travers l’analyse des troublantes peintures des Indiens Caduvéos. Le jaguar aux yeux d’eau Regarder les hommes, de loin, dans leurs différences ; décrire les articulations à l’œuvre dans les structures mythologiques ; rendre compte de la manière dont se pense par là une machine transformationnelle sans sujet : l’entreprise intellectuelle de Claude Lévi-Strauss se situe à l’articulation de ces trois leçons. Mais un tel programme, pour lequel origine et histoire n’ont pas de sens, ne suffit pas à rendre compte de l’œuvre, qui est aussi et peut-être surtout un hymne à la saveur sensible du monde, ainsi qu’un hommage mélancolique à ce que piétine notre temps, la décence de l’homme. Poésie, traduction D’un espace espéré, ou : la danse pré-pensive de Keith Wladrop A partir de Windfall losses (Pertes inespérées) du poète Keith Waldrop, Philippe Beck montre que la prose sur un livre de poésie, ou un ensemble de poèmes, devrait toujours être de la critique, et non seulement du commentaire : comment accéder à la teneur en vérité du livre ? Par sa « poéticité historique », c’est-à-dire par une élaboration formelle et singulière, qui dramatise et pense la « teneur chosale » du texte : une élaboration poétique et philosophique, que Philippe Beck met ici en application à propos de Keith Waldrop. Etrangère étrangeté L’oeuvre d’Antoine Berman est encore vivante aujourd’hui dans de multiples régions du monde. En effet, théorisant la traduction, il s’est efforcé de « penser l’étranger ». L’Âge de la traduction, ainsi (xxx), est un commentaire de « La tâche du traducteur », texte majeur de Walter Benjamin, grand théoricien et grand passeur de la modernité, dans la ligne de Cicéron et de Jérôme. Que ce texte, « préfaçant » paradoxalement les Tableaux parisiens de Baudelaire, soit lui-même très difficile à traduire, est un double symptôme auquel Berman adhère : la traduction n’est pas communication vers le lecteur, transformation selon la langue d’arrivée, mais métamorphose, mouvement du texte vers la parenté des langues, leur différence et leur complémentarité. La traduction littéraire nous plonge au cœur de ce qu’est, pour notre temps, l’œuvre d’art. Chantier L’Europe et la citoyenneté planétaire. Dialogue Le 7 février 2008, la Maison de l’Europe de Paris invitait en ses murs Denis Guénoun et Ernesto Laclau à débattre publiquement de l’Europe et de la citoyenneté planétaire. Ce dialogue, proposé, présenté et animé par Ghislaine Glasson Deschaumes, directrice du programme « Culture et Politique », est bien un chantier. Le texte ici publié garde quelque chose de la vivacité impromptue d’un échange amical appelé à se poursuivre dans l’avenir. (xxx)
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