Agenda de la pensée contemporaine
(cet article est paru dans le N°21 - sommaire été 2011 )
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N°21 - Résumés
par
L’HYPOTHÈSE DE LA LANGUE par Françoise Kerleroux Patrice Maniglier reconstitue dans toute son ampleur et dans toute son actualité la pensée fragmentée de Ferdinand de Saussure, à partir des éditions critiques du Cours de linguistique générale, qui avait été rédigé par des disciples à partir des notes prises lors des cours dans les années 1907-1911, et de diverses notes manuscrites, dont celles qui ont été retrouvées en 1996 dans l’orangerie de l’hôtel de Saussure à Genève. Il montre que tout le projet structuraliste tient à la découverte d’un problème ontologique double : les signes ne sont pas des réalités matérielles ; ils ne cessent de varier à mesure même que l’on s’en sert. Le drame personnel de Saussure apparaît ainsi comme la conséquence de l’énigme qu’il a résolument affrontée pour nous. LES LOIS DE L’UNIVERS SONT-ELLES DANS L’UNIVERS ? par Étienne Klein Les interrogations portant sur la nature des lois physiques semblant relever de la métaphysique la plus éthérée, de nombreux scientifiques se contentent de hausser les épaules lorsqu’on les interroge à ce propos. Pourtant, il est bien difficile de laisser ces questions de côté, de faire comme si elles ne se posaient pas. En effet, avec quelles armes parvenons-nous à affronter le problème de l’origine ? Par le seul biais des lois physiques que nous connaissons et des théories qui les englobent : ce sont elles que nous utilisons, d’abord pour décrire l’univers actuel, puis que nous projetons aussi loin que possible dans le passé pour tenter de décrire l’univers primo-primordial. Ce constat oblige donc à nous interroger sur la correspondance qu’il y a entre l’univers et les lois physiques qui agissent en lui (ou bien sur lui ?). Quelle relation le monde empirique entretient-il avec son arsenal législatif ? L’HISTOIRE, ENQUÊTE DE VÉRITÉ par Denis Thouard Qui est l’historien, et quelle est sa véritable tâche ? À l’image du chasseur, l’historien part sur les traces d’un passé qu’il ne cesse de traquer ; à l’instar de l’enquêteur, il récolte des indices qu’il réinterprète par la suite, faisant cas d’objets singuliers trop souvent laissés de côté par une forme d’histoire manipulant exclusivement données quantitatives et séries statistiques. Partageant les armes de la rhétorique avec l’écrivain, mais ne s’y limitant pas, il construit le récit du passé tout en prenant garde de s’éloigner de la démarche de ceux qui, négationnistes ou non, en reconstruisent une version fictive. Si les frontières entre vrai, faux et fictif sont à réinterroger dans le domaine des sciences historiques, Carlo Ginzburg le fait avec la finesse et l’originalité qui ont caractérisé son travail en « microhistoire » : faire du récit de son enquête la matière même de la vérité historique recherchée.
par Claude Habib La modernité constitue à la fois notre identité et notre idéal ; mais c’est une identité qui n’est jamais figée, et c’est un idéal que l’on ne cesse de poursuivre, sous les traits mélangés de la conquête de la nature, du progrès social ou de la croissance économique. Dans Les Métamorphoses de la cité, Pierre Manent pose cette question fondamentale : en quoi consiste notre identité moderne ? Quelles solutions a-t-elle apportées, quels problèmes a-t-elle créés ? Pour répondre à cette interrogation, le philosophe revient sur les pensées grecques et modernes – de Platon à Machiavel –, mais il enrichit également sa réflexion au moyen de deux apports majeurs : le fait romain et le scepticisme de Montaigne. Le premier permet de réexaminer les notions d’individu et d’empire, quant au second, il nous livre son regard moqueur et dégrisant sur les matières étudiées. DROIT DE REGARD OU DEVOIR DE RÉSERVE ? Dans Le Regard politique, recueil d’entretiens réalisés avec Bénédicte Delorme-Montini, Pierre Manent revient sur sa formation de philosophe politique et sur son parcours intellectuel. Assumant héritage et démarche straussiens, il affirme d’emblée s’intéresser uniquement à « ce qui est », et abandonner tout « ce qui pourrait être » aux pensées supposées moins modérées ou réalistes. Ce parti-pris ouvre un livre qui, selon François Roussel, présente une image somme toute assez orthodoxe de l’auteur de Naissance de la politique moderne, et n’offre par ailleurs aucun espace aux éventuelles objections pouvant nourrir un débat sur des questions pensées aujourd’hui à nouveaux frais. Le silence entourant les travaux récents sur la pensée de Machiavel serait un exemple du traitement trop homogénéisant qui est réservé, dans cet ouvrage, à certaines figures majeures de la pensée politique.
par Philippe Raynaud La philosophie politique des Anciens est-elle supérieure à la « science politique » des Modernes, issue de Machiavel, Hobbes et Locke, et qui se dédouble aujourd’hui en une philosophie normative à la manière de Rawls et une sociologie issue de Montesquieu ? Pierre Manent entend continuer la première, selon laquelle la politique résulte principalement de la délibération et des actions des hommes. Mais il introduit une distinction nouvelle entre les régimes (monarchique, aristocratique, démocratique, etc.) et les formes (cité, empire, nation, Église). À la lumière de cette continuité et de cette innovation, Philippe Raynaud choisit de discuter trois points, où se manifeste à son sens la puissance éclairante de Pierre Manent : que signifie la vision grecque ? les Grecs ont-ils méconnu la monarchie ? doit-on opposer la sociologie et la science (ou philosophie) politique ?
Ce troisième volet de l’histoire de la folie à l’âge moderne est consacré aux derniers développements de la politique publique de santé, notamment en France. Ils tendent à réunir toute la population, enfants compris, sous la notion de santé mentale constituée en marché où sont mises en concurrence les différentes écoles thérapeutiques – psychanalyse, vivement attaquée, méthodes cognitivo-comportementalistes, en plein essor. La scène de la folie a changé. La psychiatrie s’est dissoute dans les sciences médicales et la maladie mentale dans l’océan des souffrances anonymes mais codable et quantifiable. L’aliéné s’est divisé d’un côté en la foule des inadaptés, ou handicapés mentaux, qu’il faut au plus vite réinsérer dans l’appareil productif, et d’un autre côté en forcené qui fait peur et doit être éliminé de la société. Cette vision, qui scelle la rencontre du libéral et du sécuritaire, tourne le dos aux efforts accomplis dans ce domaine à la suite de la Libération. LA PSYCHIATRIE EN SOUFFRANCE. Propos recueillis par Pierre Chartier et Jean-Loup Motchane « Soigner l’établissement réduit ses effets iatrogènes, qui ajoutent aux symptômes pathologiques de la maladie proprement dite une composante réactionnelle au milieu […] : l’agitation, le gâtisme, la passivité, certains passages à l’acte auto ou hétéroagressifs sont le plus souvent fabriqués artificiellement par les conditions même des séjours et les impératifs organisationnels. Le Club thérapeutique [de La Borde] produit des activités, des objets, des idées, des échanges matériels et affectifs, des événements qui s’inscrivent dans une histoire partagée […]. Il intègre la dimension économique par la gestion collective concrète d’une subvention. Chacun, quel que soit son statut, peut apporter à cette gestion sa compétence, son analyse et sa sensibilité. C’est avec et par cette intégration subtile que se prennent les diverses décisions. » FOUDROYANTE PITIÉ Alors que des notions qui s’en inspirent l’emportent sur la scène philosophique, morale et politique, la pitié fait les frais du succès de ses masques (le care, l’empathie, le sujet vulnérable). Peut-on penser la pitié et le sujet qu’elle implique ? Aristote en offre une phénoménologie précieuse qui résonne encore dans les pages indépassables de l’Émile de Rousseau. On fait l’hypothèse qu’une histoire de la pitié est possible, qu’elle nécessite la formulation de quelques traits de variation et surtout qu’elle requiert que l’on s’y attaque « littérature et philosophie mêlées » : si la pitié implique toujours une scène, alors la littérature nous offre mieux que des exemples. Parti de la formule d’Aristote, on suit quelques maîtres : Céline, Ungaretti à qui l’on doit ce titre.
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