Agenda de la pensée contemporaine
(cet article est paru dans le N°19 - Sommaire hiver 2010-2011 )
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N°19 - Résumés
RÉSUMÉS MOLIÈRE : QUAND L’ÉRUDITION SERT UNE SUBVERSION SUBTILE La nouvelle édition des Œuvres Complètes de Molière, procurée par Georges Forestier et Claude Bourqui dans la Pléiade, est accompagnée d’un texte d’introduction qui propose une relecture de l’œuvre allant à l’encontre de certains mythes entourant encore la vie et la création de Molière. L’image du créateur tourmenté qui utiliserait ses angoisses pour les exprimer sur scène fait place à celle d’un auteur mondain qui maîtrise parfaitement les codes de la société au sein de laquelle il évolue, qui joue avec son public, lui tendant un miroir dans lequel celui-ci se reconnaît et peut rire de lui-même. Voilà donc un Molière mondain, mais aussi un Molière entrepreneur de spectacles, et non un poète dramatique comme Racine ou Corneille : l’importance du contact avec le public, de la recherche de l’efficacité théâtrale, de la musique, est également soulignée dans ce texte : l’écriture est moins ici une forme d’expression qu’une technique verbale destinée au jeu. DE L’OUBLI ET DE SON CONTRAIRE par Tiphaine Samoyault On a parfois voulu instituer l’amnésie collective par décret, au nom d’une (provisoire) concorde entre les hommes. Jean-Michel Rey revient sur différents épisodes historiques au cours desquels l’oubli, vécu sur le mode de la clôture d’un incident, a été l’effet d’une politique volontaire : il s’agissait alors d’oublier un mal passé pour garantir un bien futur. Cette pratique ne saurait dissimuler sa proximité avec une forme de révisionnisme qui ne procède pas tant à une réécriture de l’histoire qu’à sa destruction. Si l’on considère que l’antonyme de l’oubli n’est pas la mémoire, mais la justice, c’est donc uniquement une pratique de non-réconciliation et de non-oubli qui permettra un vivre-ensemble qui ne soit pas finalement mensonger. UNE HISTOIRE NON PHILOSOPHIQUE DE LA PHILOSOPHIE Pourquoi une histoire de la philosophie devrait-elle être non-philosophique ? Patrick Hochart aborde cette question à partir de deux interventions de Jacques Brunschwig dans lesquelles le philosophe français décrit sa méthode de travail. Celle-ci doit se comprendre à partir d’un rejet de toute forme de « conflit d’interprétations » - polémiques opposant des interprétations contradictoires, qui dissimulent souvent des partis-pris préalables. Ces conflits déplacent le Kampfplatz philosophique sur le terrain de l’histoire de la philosophie, en le prolongeant par d’autres moyens. Il s’agit donc de pouvoir faire mention de la philosophie sans en faire usage, et d’aborder l’histoire de la philosophie au moyen d’une « problématologie », discipline qui cherche à définir ce qui fait précisément problème tout en se gardant le plus possible d’énoncer ou de démontrer des thèses. CINQ RENCONTRES À ORIEL COLLEGE, OXFORD Pierre Pachet livre des croquis inédits des participants au séminaire qui s’est tenu en 1979 à Oxford et a abouti à l’ouvrage Science and Speculation. Jacques Brunschwig, l’un des organisateurs, « se sentait [là] dans un monde où sa précision, son sens du détail, sa discrétion malicieuse et son humour étaient appréciés ». On comprendra ces portraits comme un hommage au style « anglais » du dialogue philosophique, à son humanité et à sa fondamentale courtoisie : hommage aussi, donc, à Jacques Brunschwig. HISTORIEN ET PHILOSOPHE Philippe Raynaud a moins connu Jacques Brunschwig que la plupart de ceux qui s’associent pour cet hommage. Sa relation n’en a pas moins été singulière, du fait notamment du rapport privilégié qu’entretenait Jacques Brunschwig avec la philosophie grecque dont, dans des textes brefs et discrets, il a admirablement parlé. JACQUES BRUNSCHWIG INTERPRÈTE Ce serait une erreur de voir en Jacques Brunschwig un adepte de la philosophie analytique à la manière anglo-saxonne faisant fi de toute structure ou systématicité. En fait, c’est la querelle Gueroult-Alquié, portant sur la méthode en histoire de la philosophie, qui a été l’événement marquant de sa formation. Marwan Rashed considère de près dans cette perspective plusieurs textes de Jacques Brunschwig, entre la fin des années 70 et sa mort, pour établir un constat subtil et rigoureux à la mesure de la subtilité et de la rigueur de Jacques Brunschwig lui-même. La musique et son interprétation y joue in fine un rôle clé. La conclusion résume l’essentiel, selon une double postulation : « la totalité est un idéal régulateur, qui n’existe qu’à la manière d’une œuvre musicale, c’est-à-dire qui se dérobe par soi à la vérité de jugement. En revanche, des portions du système, plus ou moins grandes, mais jamais le système, se prêtent à nos analyses et, plus profondément, ces analyses, nécessairement parcellaires, se nourrissent de sa totalité « esthétique » tout autant qu’elles lui procurent une part de consistance. » LA COULEUR ET LE TEMPO DES MORTS. LES GRECS, LA MUSIQUE CLASSIQUE ET LA PHILOSOPHIE C’est à partir de réflexions sur les relations qu’entretient Jacques Brunschwig avec la philosophie, la musique et la Grèce comme patrie mentale qu’Anissa Castel Bouchouchi pose la question fondamentale de l’interprétation, pour mettre en valeur les postures différentes que cette activité suppose. L’interprétation du musicien semble ainsi s’opposer en tout à l’interprétation du philosophe, même si toutes deux se déroulent dans le même cadre d’une relation particulière aux morts : le musicien rend miraculeusement le tempo des morts, mieux, il rend leur voix aux morts, compositeurs de génie qui l’ont précédé ; le philosophe procède à l’inverse et tend à acquérir « la couleur des morts », il cherche non pas à les ressusciter mais à accepter positivement ce qui en eux est bien mort. Résurrection des morts contre mortification des vivants : le philosophe est bien celui qui apprend à mourir, mais comme le souligne élégamment l’auteur à propos de Jacques Brunschwig, l’helléniste ou le mélomane est aussi celui qui apprend, grâce à ses interprétations – d’une langue morte ou d’une partition du passé - à ne pas mourir trop tôt. MOTS DE NOMBRES Mal connus pour être trop familiers, les nombres renvoient à un acte de langage fondamental. Or la linguistique nous a très peu appris sur eux. C’est le propos de cet ouvrage que de reconsidérer les mots de nombre – en particulier les cardinaux – à partir d’une perspective proprement morphologique, ce qui permet à son auteur de mettre en évidence un paradoxe inédit : si la description grammaticale usuelle range les nombres du côté des déterminants, elle ne permet cependant pas de penser le fait que ces cardinaux agissent au-delà de simples déterminants, puisqu’ils sont une base permettant la construction de dérivés, en particulier les ordinaux. C’est donc l’hypothèse d’une classe lexicale sui generis que Sophie Saulnier nous invite ici à découvrir. LE BOSON DE HIGGS, OU L’ART D’EXPLIQUER LE RÉEL PAR L’IMPOSSIBLE L’expérience quotidienne nous persuade que la masse est une propriété intrinsèque de tout objet matériel. Face à cette « vérité » peut-être trop vite établie, Etienne Klein nous rappelle que la physique n’avance, depuis Galilée, qu’en questionnant sans cesse ses propres certitudes. S’interroger sur la nature de la masse aujourd’hui pourrait ainsi donner lieu à un renversement important de nos conceptions à ce sujet. Deux hypothèses se présentent : ou bien la masse est une propriété intrinsèque, première, de tout objet et des particules élémentaires ; ou bien elle est une propriété seconde, résultat de l’interaction de particules sans masse avec les « bosons de Higgs » présents dans le vide quantique. C’est ce « boson de Higgs » que recherchent aujourd’hui les physiciens grâce au LHC, illustrant ainsi une nouvelle fois le pari de la physique moderne : expliquer le réel par l’impossible, c’est à dire par des lois qui dans leur exactitude même semblent pourtant contredire nos observations premières. LA BERCEUSE ET LE CLAIRON. (LITTÉRATURE, TYRANNIE ET EXPRESSION) « Tous crient ensemble dans l’insuffisance du cri, animaux de discours. Tohu-bohu de maintenant, une fois que les humains sont apparus. Comment décidément voir l’utilité de leurs divisions ? Il faut grammaire, syntaxe, morphologie de la multitude sur une terre littéraire, noire et féconde, pour que la horde seconde, avec ses enfants-bagnards, produise la sainte réciprocité décrite dans Hölderlin, l’enfant « aux tempes grises ». On attend une technique pour traverser les matins gris de la tolérance qui évite l’aveuglante réalité du conflit. »
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