Agenda de la pensée contemporaine
(cet article est paru dans le N°21 - sommaire été 2011 )
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N°21-Histoire de la folie à l’age moderne - 3 ième partie
par
Comptes rendus critiques de : UN MONDE DE FOUS. TROUBLE DES CONDUITES CHEZ L’ENFANT ET L’ADOLESCENT LE LIVRE NOIR DE LA PSYCHANALYSE : NOS ENFANTS SOUS HAUTE SURVEILLANCE La psychiatrie en France Voir les N°15 et 16 pour la première et deuxième partie de l’ "Histoire de la folie à l’âge moderne" Dans les jours qui ont suivi le terrible crime perpétré en 2004 dans le centre hospitalier de Pau [2], par un malade schizophrène, le ministre de la santé de l’époque, Philippe Douste Blazy a annoncé le renforcement des mesures de sécurité dans les hôpitaux, politique confirmée en août 2005 par son successeur, Xavier Bertrand. Ce dernier annonce que 17,2 millions d’euros seront mis à la disposition des hôpitaux pour recruter du personnel soignant et du personnels de sécurité (vigiles) à quoi s’ajouteront en 2006 « 44,6 millions d’euros consacrés au recrutement et à la mise en place de systèmes de sécurité pour le personnel…Un groupe de travail interministériel- Intérieur, Justice, Santé- devrait élaborer des propositions sur la prise en charge de ces détenus [présentant des pathologies psychiatriques] et les mesures de sécurité à prendre. Les choses sont claires : la question de la maladie mentales est, on ne peut plus officiellement désignée comme un risque dont la société doit se protéger » [3] En réaction à cette étude très contre versée sur le plan scientifique, l’appel « Pas de zéro de conduite pour les enfants de trois ans » est lancé en janvier 2006 par un collectif d’une dizaine de médecins [5]. Il dénonce une déviation prédictive de la prévention et s’élève contre les risques de dérives des pratiques de soins, notamment psychiques, vers des fins normatives et de contrôle social. Il appelle à un débat démocratique sur la prévention, la protection et les soins prodigués aux enfants. Très vite porté par près de 200 000 signataires, l’appel suscite un débat scientifique et de société d’une ampleur sans précédent, témoignant massivement d’un double refus : refus d’une prévention prédictive, du déterminisme biologique et du conditionnement car à trois ans, tout n’est pas joué ; refus ensuite, que la politique de sécurité s’empare des domaines qui relèvent de la politique de santé, notamment du dépistage précoce de problèmes psychologiques. A la suite de cet appel et de l’écho qu’il recueille, le ministre de la santé charge l’INSERM d’organiser un colloque intitulé « Trouble des conduites : de la clinique à la recherche » qui se tiendra le 14 novembre 2006 à Paris. Il amènera l’INSERM à annoncer en décembre une refonte de ses méthodes d’expertises dans le domaine de la santé mentale. Le gouvernement annoncera le retrait de l’article sur le dépistage précoce du projet de loi « prévention de la délinquance » [6] Contemporain de la publication du rapport de l’INSERM paraît un violent pamphlet contre la psychanalyse « Le Livre noir de la psychanalyse » Le 25 février 2008 une loi relative à la rétention de sûreté pour les criminels sexuels et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, partiellement censurée par le conseil constitutionnel est promulgué. Elle stipule que « Des mesures de rétention de sûreté s’appliqueront aux auteurs de crimes pédophiles après expertise médicale et sur avis d’une commission chargée de constater que ces criminels "restent particulièrement dangereux et présentent un risque très élevé de récidive à l’issue de leur peine de prison". La rétention de sûreté sera prononcée par une juridiction, pour une durée de un an renouvelable. Seront concernés les pédophiles condamnés à plus de 15 ans de réclusion. Ce dispositif s’appliquera également aux personnes placées sous surveillance judiciaire (notamment sous bracelet électronique mobile) qui ne respectent pas leurs obligations » D’autre part « Afin de mieux répondre aux attentes des victimes, le projet de loi modifie la procédure de jugement des personnes irresponsables pour cause de troubles mentaux. Le texte prévoit que les juges pourront prononcer une "déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental" à l’issue d’une audience rendue publique si les victimes le demandent. Des mesures de sûreté seront mises en œuvre et s’appliqueront dès la fin de l’hospitalisation d’office : il s’agira, par exemple, d’interdire aux criminels de rencontrer leurs victimes ou de se rendre dans certains lieux. La décision de déclaration d’irresponsabilité pénale sera inscrite au casier judiciaire. Enfin, le projet de loi renforce l’efficacité du dispositif d’injonction de soins » [8] Enfin le 2 décembre 2009, trois semaines après le meurtre le 12 novembre 2009, d’un jeune homme par un patient schizophrène échappé de l’hôpital psychiatrique de Grenoble, le président de la République a annoncé pendant sa visite au centre hospitalier d’Antony (Hauts de Seine) « devant un parterre de médecins sidérés par la tonalité de son discours, …. un plan de sécurisation des hôpitaux psychiatriques, impliquant la multiplication des structures d’enfermement ». Nicolas Sarkozy précise que « trente millions d’euros seront débloqués pour mieux contrôler les entrées et sorties des établissements et prévenir les fugues et quatre unités de malades difficiles de quarante lits chacune seront créés pour un montant de quarante millions d’euros » . Ce discours, qui rompt avec toutes les tentatives de renouveau de la psychiatrie et d’ouverture de l’hôpital, entreprises à la libération, pour en revenir à une politique de régression sécuritaire, au nom d’une posture démagogique de compassion envers les victimes, provoque l’indignation des médecins psychiatres présents D’après les statistiques qu’elle publie « en 2005, sur 51 411 mises en examen dans des affaires pénales (crime ou délits), 212 ont bénéficiés d’un non lieu pour irresponsabilité pénale pour cause psychiatrique, soit 0,4% de l’ensemble » [10] . Et les 600.000 personnes répertoriées comme schizophrènes en France, écrit-elle, « sont bien moins meurtrières, en proportion que les amants jaloux ou les délinquants notoires » [11] . La médecine mentale en France aujourd’hui ? Les réflexions de Robert Castel, sur l’évolution de la médecine mentale en France depuis la Libération restent d’actualité Le secteur, à l’exception d’expériences restées minoritaires, a été tributaire, après sa légalisation en juillet 1985, d’une orientation bureaucratique contenue dans la loi. Celle-ci l’a réduit bien souvent à un simple découpage administratif, doté d’une organisation hiérarchisée, centrée sur l’hôpital psychiatrique, en contradiction totale avec le projet de ses promoteurs. La spécificité de la psychiatrie par rapport à la médecine sera affaiblie, dès les années 80, par le retour en force de l’objectivisme, du positivisme médical fondé sur une conception hégémonique de l’origine biologique de la folie, hégémonique parce que les psychanalystes et Freud en premier, n’ont jamais nié, bien au contraire les liens entre le psychisme et le corps biologique. Le déclin de la psychiatrie La disparition des formations de psychiatres et d’infirmiers psychiatriques spécifiques par l’instauration d’un concours d’internat unique pour les premiers, par la disparition du Diplôme d’Infirmier de Secteur Psychiatrique pour les seconds, l’ouverture de nouveaux services psychiatriques dans les hôpitaux généraux affaiblit et banalise l’exercice de la psychiatrie au bénéfice du modèle concurrent centré sur l’hôpital général et la scientificité médicale [15] La pratique psychiatrique traditionnelle, est peu à peu remplacée par la transformation des psychiatres en experts sollicités par la les différentes administrations, justice, éducation nationale, ou services sociaux. Le diagnostique est de plus en plus séparée du soin, ce qui accroît le pouvoir des gestionnaires au détriment des équipes soignantes. « Le psychiatre apparaît de plus en plus comme un spécialiste qui marque un destin sans modifier une situation » [16] Les instruments informatiques rendent maintenant possible la segmentation plus ou moins fine des populations suivant leur degré de « normalité » ou de « risques » ; ils se sont multipliés. Le système de Gestion automatisé de médecine infantile (G.AM.I.N) concerne par exemple, tous les enfants à partir de leur naissance. Il s’agit d’une base de données permettant la signalisation des enfants à risques. Le risque lui-même, est défini à partir du croisement d’un certain nombre de critères médicaux et sociaux, indépendants et arbitraires : « C’est ainsi qu’une malformation, le mauvais état de santé de la mère, des fausses couches antérieures, etc .. représentent des facteurs de risque. Mais aussi que la mère ou l’allocataire soit célibataire, mineur(e), de nationalité étrangère, ouvrièr(e) agricole, femme de ménage, manœuvre, apprenti(e), étudiant(e), militaire du contingent, sans profession etc » [19] . De même, le système d’Automatisation Départementale de l’Action sanitaire et Sociale (A.U.D.A.S.S) fiche les enfants qui relèvent de l’Aide sociale à l’enfance et contient des renseignements sur toutes les sujets ayant bénéficié des services sociaux à un titre ou à un autre [20] Ces instruments permettent la mise en œuvre de nouvelles politiques préventives visant à allier l’évitement des risques présentés par les classes dangereuses par des mesures sécuritaires à des considérations sociales. La prévention des risques nécessite le suivi et la surveillance des populations présentant un ensemble de spécifications hétérogènes, considérées comme pouvant favoriser un comportement déviant. La trop fameuse enquête de l’INSERM sur la dangerosité des enfants de moins de trois ans participe de ce nouveau paradigme. Ces politiques d’inspiration néolibérales sont naturellement dominées par leur principal objectif : diminuer les dépenses du système de santé publique. La médecine à deux vitesses, mentale ou classique, a de beaux jours devant elle : les cliniques privées et le divan des psychanalystes pour les riches, l’hôpital psychiatrique, l’aide sociale et les associations conventionnées, sans but lucratif pour les pauvres. Le tout centralisé, planifié, normalisé et contrôlé par l’Etat. L’après psychanalyse La psychanalyse avait réussi après la guerre à s’investir par le biais de la psychothérapie institutionnelle dans un certains nombre de services psychiatriques pour en changer et en améliorer considérablement la pratique. Contrairement aux Etats-Unis, elle n’est pas restée un monopole de la formation médicale. Déjà présente à l’université de Nanterre, avant l’ouverture en 1968 du département de psychanalyse de Vincennes ou de l’UFR de sciences humaines cliniques à l’université Paris 7, elle est devenue partie prenante de la formation professionnelle de nombreux cadres moyens ou supérieurs des professions de santé. Cette diffusion a contribué à la constitution d’une culture psychanalyste de masse, que Robert Castel décrit comme : « la transmutation d’une théorie difficile et exigeante en commun dénominateur de tout un milieu culturel » [21] . Cette transformation d’une discipline rigoureuse en une vulgate imprégnant tous les champs de la psychologie, a permis paradoxalement dans le sillage de la psychanalyse et contre elle, l’éclosion de nouvelles thérapies, souvent venue des Etats-Unis, appelée tantôt « mouvement du potentiel humain », tantôt « psychologie humaniste » Ces autres types de thérapies, plus courtes, plus économiques et moins contraignantes, ces psychanalyses du pauvre, comme les appelle Robert Castel [23], constituent une concurrence redoutable, d’autant qu’elles n’hésitent pas à s’abriter derrière la théorie psychanalytique, pour mieux masquer la faiblesse de la pensée qui les inspire. A l’autre bout du spectre, la psychanalyse subit les assauts couronnés de succès des thérapies cognitives et comportementalistes (TCC) qui ont été importées dans les années 60 à partir des pays anglo-saxons. Elles y sont validées en France par les plus hautes instances scientifiques, c’est-à-dire par l’I.N.S.E.R.M et donnent lieu à des formations universitaires. D’après cette institution « la génétique des comportements (revue in Paris, 1998) montre que les sources de variation dans la personnalité sont représentées à 50 % par des facteurs héréditaires et à 50 % par des facteurs d’environnement » [24] . Les cures comportent des thérapies individuelles, des thérapies de groupes, de couple, et des thérapies familiales dont la durée peut être codifiée, (ce qui facilite sa gestion comptable et son remboursement éventuel par l’assurance maladie) ; toujours d’après l’exposé de l’I.N.S.E.RM., ces méthodes permettraient de « réduire l’anxiété et encourager les comportements actifs d’affrontement ». Et conclut l’exposé de l’I.N.S.E.RM, « les TCC représentent l’application de la psychologie scientifique à la résolution des problèmes cliniques. Comme pour toute thérapie, elles prennent place dans un contrat de soins et à travers une relation thérapeutique, qui présente la caractéristique d’être une relation de collaboration empirique. Le fait que les TCC aient, dès leurs débuts, mis l’accent sur la validation scientifique des pratiques a permis le développement d’une culture de l’évaluation et la recherche des preuves d’efficacité. Ceci explique le nombre important des recherches contrôlées dans tous les domaines de la psychopathologie qui ont été conduites des années 1960 à nos jours sur l’efficacité et le processus des TCC » [26] . Les attaques contre la psychanalyse , comme discipline Face à ces attaques, la psychanalyse continue certes sa pratique rigoureuse dans le cadre de la cure traditionnelle dans la relation duelle sur le divan, ou dans les institutions dans lesquelles l’ensemble de l’équipe soignante joue effectivement un rôle thérapeutique. Mais elle peine à satisfaire à l’augmentation de la demande individuelle en ville, ou collective dans les hôpitaux et les secteurs. Les cures sont longues et coûteuses et il n’existe que quelques milliers de psychanalystes, psychiatres ou psychologues, disposant d’un diplôme universitaires et rattachés d’une façon ou une autre à une école dûment estampillée, pour répondre à une demande potentielle, de l’ordre de la dizaine voire de la centaine de milliers d’individus. D’une certaine manière, victime de son succès, le fossé se creuse « entre la représentation que la profession se donne d’elle-même et ce qu’elle est et fait réellement » [27]. Pour mieux dissimuler une pratique de classe accessible seulement à une minorité, la psychanalyse serait-elle réduite à se servir de l’alibi social que constituent les quelques dizaines d’institutions, hôpitaux psychiatriques et secteurs fonctionnant encore suivant les canons de la psychothérapie institutionnelle. Enfin et surtout l’affirmation de plus en plus péremptoire de la part de la communauté scientifique et médicale des origines neurobiologiques et génétiques des maladies mentales [28], ouvrant la voie à la toute puissance d’une médecine prédictive, reprise sans grand effort critique, par la plupart des médias, jointe à la place de plus en plus hégémonique occupée par les thérapies cognitivo- comportementalistes, drapées dans leur statut « d’application de la psychologie scientifique à la résolution des problèmes cliniques. », achèvent de marginaliser l’entreprise freudienne qui n’a pourtant jamais nié l’existence des rapports entre les sphères psychiques, biologiques et neurologiques. Bien au-delà de l’approche psychiatrique ou de la psychothérapie institutionnelle qui prend en compte tout en les distinguant, l’aliénation mentale et l’aliénation sociale, cette nouvelle culture se donne d’une part pour objectif de rétablir l’harmonie dans les relations humaines et de pallier les disfonctionnement des entreprises et des institutions ; et pour le sujet, d’augmenter son efficacité personnelle, d’augmenter ses performances, et faire fructifier son capital humain, comme pour une petite entreprise. De même qu’en 1968, tout était politique, tout y compris le social, est maintenant devenu psychologique, c’est-à-dire, affaire de relation, de comportement, et de communication. La vocation, des nouvelles « thérapies pour les normaux » [29] C’est ce que Robert Castel définit comme « l’ ordre post disciplinaire » [31] : la santé mentale constitue un marché, où les différentes écoles thérapeutiques, psychanalyse, méthodes de psychologies humanistes et cognitivo- comportementalistes, sont mises en concurrence. Cet ordre post disciplinaire ne passe plus forcément par la seule imposition de contraintes, même si les outils informatiques mis en place, permettent le repérage et le suivi dès leur plus jeune âge, des enfants considérés comme atteints de troubles mentaux, ou simplement déviants ; et même si la montée en puissance du biopouvoir et de la médecine prédictive va permettre aux compagnies d’assurance de classer les individus suivant leur probabilités génétiques de contracter des maladies de longue durée . Mais les méthodes de contrôle direct d’une population sont coûteuses et peuvent provoquer des contestations. Elles sont difficiles à mettre en oeuvre, à l’échelle de millions de personnes : « Un autre modèle de régulation se développe : l’incitation à collaborer, de sa place et selon ses besoins, à la gestion des contraintes dans le cadre d’une division du travail entre les instances de domination et ceux qui y sont assujettis » [32] . Il est nettement plus avisé d’obtenir des individus qu’ils s’imposent à eux-mêmes, par une servitude volontaire, leurs propres objectifs sociaux et économiques, de manière à satisfaire aux exigences de rentabilité et de compétitivité de la société actuelle. Quant au sujet qui s’écarterait de la norme (figurant au dernier DSM), il sera sommé de renforcer, grâce, par exemple à une psychothérapie cognitivo- comportementalistes présumée efficace, ses conduites positives et de se défaire de ses attitudes déviantes. D’autant que avec la nouvelle culture psychologique des années 80, marquée par le glissement de la psychiatrie vers la santé mentale (titre du rapport remis en 2001 au ministre de la santé , par Eric Piel et Jean-Luc Roelandt), il ne s’agit plus de « gérer quelques milliers de malades mentaux mais des millions de personnes en souffrance, les premiers étant désormais sur le même plan que les seconds » [33] . Mais inversement : cette banalisation de la souffrance aboutit à ce que le psychiatre Jean Furtos appelle la « sanitarisation » de la misère par les médecins : « vous êtes angoissé parce que vous êtes sans emploi, votre femme vous a quitté, vous êtes au seuil de la rue, je vais vous donner un traitement et cela ira mieux » [34] Aujourd’hui la maladie mentale apparait dans un premier temps comme un facteur d’inadaptation sociale, de handicap et une source de dépenses qu’il s’agit de « gérer » de manière optimale. Les malades chroniques restaient autrefois enfermés toute leur vie à l’hôpital, ce qui réglait, si l’on peut dire la question. Mais les contraintes imposées par les politiques de gestion ont abouti comme ont l’a vue à une réduction très importante des lits disponibles. La solution consiste alors de renvoyer aux organismes médicaux-sociaux, sociaux ou aux familles la responsabilité de la prise en charge des malades mentaux qui ne trouvent pas de places dans les institutions spécialisées [35]. Ces organismes qui sont faits pour accueillir les handicapés, n’ont évidement ni les moyens nécessaires, ni les compétences pour assurer cette mission supplémentaire [36] Bien que les statistiques prouvent abondamment que la proportion des crimes ou délits imputables aux malades mentaux est très inférieure à la moyenne, le malade mental, le fou retrouve toute sa visibilité dans les médias, lorsqu’il est l’auteur d’un crime jugé d’autant plus atroce qu’il apparaît sans raison ni motif. Et si le malade mental, à défaut d’être soigné, doit et peut être réinséré dans la société, le fou, lui considéré comme un risque pour la sécurité et une menace pour l’ordre social doit être mis hors d’état de nuire. Alors que la politique psychiatrique manque du nécessaire, des dizaines de millions d’euros sont disponibles pour édifier de nouvelles structures fermées et pour sécuriser les services existants Les préoccupations sécuritaires actuelles se définissent aussi et surtout par leur volonté répressive clairement affirmée. Le projet sur le durcissement de la loi du 27 juin 1990 qui régit les « placements d’office et celui de la suppression du non lieu fondée sur l’irresponsabilité pour troubles mentaux En témoigne le dernier projet de loi relatif à « aux droits et à la protection des personnes » déposé par Roselyne Bachelot, ministre de la santé et qui devrait être voté le 22 mars 2011 ; ce projet qui prévoit notamment une sorte de « garde à vue » psychiatrique de 72 heures ainsi que le développement des « soins sans consentement », est dénoncé par de nombreux psychiatres qui ont formé le Collectif des trente neuf , « auquel de nombreux politiques, magistrats, médecins et sociologues se sont ralliés » . On est entré dans une nouvelle ère paradoxale ou la mise en scène de la folie a changé : la maladie mentale s’est dissoute dans l’océan des souffrances anonymes et la psychiatrie dans les sciences médicales. La figure de l’aliéné n’existe plus. Elle est remplacée par celle de l’inadapté ou l’handicapé mental, qu’il faut au plus vite remettre au travail et réinsérer dans l’appareil productif (oui c’est possible à condition qu’il suive une thérapie et prenne ses médicaments). A sa place apparaît alors le personnage sombre du fou, c’est-à-dire du forcené, d’autant plus dangereux pour la société que son comportement est imprévisible. Souvent coupable de refuser les soins que son état nécessite et par conséquent responsable, potentiellement dangereux ou déjà criminel, il ne doit plus échapper aussi aisément à la justice, en invoquant l’inconscience de ses actes. Selon la nouvelle loi, tant que son discernement altéré peut-être, n’est pas aboli, le fou doit être jugé, ne serait-ce que pour tenir compte des souffrances des victimes. Ce totalitarisme actuel tout à la fois libéral [41] et sécuritaire [42] , qui organise le naufrage, peut-être provisoire de la psychiatrie et de la psychanalyse, est malheureusement l’expression d’une conception dominante de la société toute entière. De même qu’au sortir de la Résistance, à la Libération, un petit groupe de personnes, a réussi à changer en France, de manière positive les rapports entre la société et ses fous, à la faveur peut-être de l’établissement d’un nouveau type de contrat social et politique entre les pouvoirs et les citoyens, de même s’en trouvera-t-il encore, pour résister suivant l’exemple de leurs aînés pendant l’occupation, au rouleau compresseur d’une révolution conservatrice, qui, aveugle aux leçons de la crise mondiale actuelle, pense avoir encore en France de beaux jours devant elle.
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